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Je ne suis pas seul à être seul, Jean-Louis Fournier (par Nathalie de Courson)

Ecrit par Nathalie de Courson le 20.12.19 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Je ne suis pas seul à être seul, Jean-Louis Fournier, JC Lattès, octobre 2019, 188 pages, 19 €

Je ne suis pas seul à être seul, Jean-Louis Fournier (par Nathalie de Courson)

 

La solitude, c’est tendance et c’est lourd.

J’ai essayé de faire un livre léger.

Avec plus d’accordéon que de violoncelle, quelques rires ajoutés et quelques facéties quand ça devient vraiment triste.

Par courtes séquences, sur un ton humoristique, voire sarcastique, Jean-Louis Fournier nous donne à lire une série de variations sur le thème de la solitude ‒ notamment la sienne : celle du petit garçon qui réclame sa maman à l’accueil du magasin, ou celle du veuf de quatre-vingts ans, « de plus en plus vieux, de plus en plus moche », à qui la mairie accorde une accompagnatrice deux heures par semaine mais dont l’angoisse est la plus fidèle compagne. Ici et là se dessinent les portraits d’autres solitaires : les moines de Solesmes, une pianiste qui ne veut jouer qu’en soliste, ou Madame Basset, une voisine veuve qui faisait briller sa maison pour s’entourer de tous ses reflets : « Ils la regardaient, ils l’accompagnaient, ils la précédaient, ils la suivaient, parfois ils lui souriaient, elle leur souriait, comme la Joconde ».

Apparaissent aussi la solitude exaltante de l’alpiniste ou la solitude productive de l’artiste ; celles plus mornes du gardien de musée, ou des couples qui regardent avec des écouteurs, dans le train et « dans la même direction », un écran d’ordinateur ; la solitude angoissante du parachutiste au moment du saut ou de l’homme perdu dans l’univers… À ces évocations s’entremêlent des retours sur soi mélancoliques teintés d’humour : « J’en viens à aimer les moustiques. Le soir, quand il y en a un qui vient se poser sur mon nez, ça me fait une compagnie. Mais eux aussi disparaissent ».

Entre les séquences, quelques lignes en italique sur une page viennent, comme un refrain, scander l’ensemble. C’est au début :

Les volets de mes voisins d’en face sont fermés.

Ils ont dû partir…

Ils ne m’ont même pas prévenu

Et vers la fin :

Les volets de la maison d’en face sont encore fermés, pourtant il est midi.

Les salauds, ils vont me le payer.

Ce qui caractérise le mieux le style de Fournier est l’art de la formule percutante, tiré de sa longue expérience d’humoriste et de scénariste. Il rend d’ailleurs un hommage ému à Pierre Desproges avec lequel il a longtemps collaboré et qui disait de lui : « Jean-Louis est un fou chiffonné, cerné d’angoisses existentielles, pour qui tout allait bien, jusqu’à ce jour maudit où il est né ».

On distingue parmi ces formules : « J’ai fait une partie de solitaire, je gagne toujours » ; « Le téléphone sonne, je suis le premier à décrocher ». Ou de manière plus étrange : « Hier soir, seul devant la télé, j’ai épilé mon hérisson » (Clin d’œil de l’auteur à lui-même ? Ce hérisson épilé était déjà apparu en 1992 dans sa Grammaire française et impertinente).

Les formules les plus émouvantes sont certainement celles qui concernent son épouse bien-aimée : « Je me suis marié deux fois, pour ne pas être seul. La première fois, c’était le hasard, la seconde fois c’était le plus heureux des hasards ».

Le deuil de sa chère Sylvie et celui de sa mère sont des leitmotive douloureux du livre : « Ma mère est morte, je suis un gosse perdu, personne ne viendra plus me récupérer à la caisse du magasin ». Ce sentiment d’abandon peut s’étendre à tout : « Un train qui part, un avion qui décolle, un bateau quittant le port (…). C’est toujours une souffrance, comme un arrachement. Quand quelqu’un part j’ai toujours peur de le perdre, qu’il ne revienne pas ».

On apprécie surtout les pages de cette veine de sensibilité dans un livre à la fois direct et pudique, bien rythmé, facile à lire, et facile tout court. Certes, l’humour d’autodérision s’accompagne parfois d’un égocentrisme qui laisse en bouche un goût plus aigre, mais j’imagine l’auteur répondant avec un haussement d’épaules : « Il ne me déplaît pas de déplaire », ou avec un clin d’œil : « Pas si facile d’être facile ».

 

Nathalie de Courson

 

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NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.

Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.

Notre cotation :

VL1 : faible Valeur Littéraire

VL2 : modeste VL

VL3 : assez haute VL

VL4 : haute VL

VL5 : très haute VL

VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)


Jean-Louis Fournier, écrivain et réalisateur, est l’auteur de récits personnels dont la plupart ont connu de beaux succès critiques et publics comme : Où on va papa ? (prix Femina 2008) ; Poète et paysan Veuf Ma mère du Nord.

 

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A propos du rédacteur

Nathalie de Courson

 

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Nathalie de Courson, enfance et adolescence à Madrid, agrégation de Lettres, doctorat de Littérature française, enseignement (beaucoup). Publications : Nathalie SarrauteLa Peau de maman (L’Harmattan) ; Eclats d’école (Le Lavoir Saint-Martin) ; articles dans les revues Poétique, Equinoxes, La Cause littéraire ; traductions de l’espagnol, dont, en 2017, le roman (traduit du castillan et de l’aragonais) Où allons-nous d’Ana Tena Puy (La Ramonda/Gara d’Edizions).

Auteur d’un blog http://patte-de-mouette.fr/