Je mourrai une autre fois, Isabelle Alonso
Je mourrai une autre fois, février 2016, 320 pages, 19 €
Ecrivain(s): Isabelle Alonso Edition: Héloïse D'Ormesson
« L’histoire telle qu’elle s’écrit, telle que l’écrivent les vainqueurs, a fait de nous des oubliés, des cocus de première classe ». Le ton est donné, l’auteur, après L’Exil est mon pays, où elle racontait le quotidien d’une enfant immigrée arrivée d’Espagne (sa propre histoire), veut rendre hommage à ses ancêtres, les républicains. Ceux qui se sont battus pour la démocratie et dont les corps « gisent encore sans sépulture dans les fossés où eut lieu leur exécution ». A travers la petite histoire d’une famille espagnole au début du XXème siècle, on traverse la grande histoire, le quotidien de ceux qui vont s’engager pour lutter contre les « Fachas ». Nous sommes d’abord plongés dans l’univers familial de la famille d’Angel Alcalà Llach : « Pouvoir nous donner du lait à tout moment sans qu’il tourne, caille ou aigrisse comble ma mère. Elle se délecte de tout ce qui est moderne. Moderne comme la glacière, un pesant meuble de bois et marbre dont l’intérieur doublé de métal, isole son contenu des hauts et des bas du thermomètre ». Famille avec une conscience politique aigüe au point de déguiser les enfants en journaux, au nom de la liberté de la presse. « Déguisée en journal, tu imagines ? Ni en princesse cucul la praline, ni en sainte nitouche, ni en bergère gnangnan. En journal ! C’est autre chose ! J’étais celle qui apportait les nouvelles du monde !
Le livre est écrit à la fois sur un ton facétieux, malicieux et grave. C’est ce qui fait le charme du style d’Isabelle Alonso, on passe facilement du rire aux larmes. « Tu crois qu’ils en ont autant en face ? – Jozù ! Tu sais la différence entre un pou sur un Républicain et un pou sur un facha ? – C’est la même merde, sauf que, eux, ils la méritent ! – Non. Sur un facha, c’est le pou qui se gratte ! Et puis quelques lignes avant : « Je ne comprends pas tout de suite, ou plutôt mon cerveau a du mal à accepter ce que lui envoient mes yeux. Des doigts, des mains, des jambes, des intestins, des morceaux de corps humains, dépouilles diverses d’amputations ou d’opérations, amas sanguinolent jeté là ». Toute la deuxième partie du livre raconte la vie à la guerre pour un gamin de quinze ans (le père d’Alonso) engagé auprès des républicains. L’auteur insiste sur l’origine humble de ces combattants, pour la plupart ils ne savent ni lire, ni écrire, mais ils rejoignent la communauté « des cœurs simples ». « Je lis très mal et je n’écris pas du tout. Tu vas repérer dans la presse les articles qui nous intéressent, et on organisera des débats. La justice, la liberté, le partage, ça s’apprend. Notre premier ennemi est l’ignorance, parce qu’elle engendre la bêtise. Les fachas ne viennent qu’en deuxième position ». Et puis c’est la défaite et l’internement dans ce camp de Saint-Cyprien, dans le sud de la France. « Le pays des droits de l’Homme a choisi de traiter en parias des hommes qui se battent depuis trois ans contre le fascisme ».
Zoé Tisset
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