Je la voulais lointaine, Gaston-Paul Effa
Je la voulais lointaine, 01 février 2012, 134 p. 15,80 €
Ecrivain(s): Gaston-Paul Effa Edition: Actes SudL’histoire d’un déraciné. D’une coupure mal soignée, qui s’infecte, quelque chose qui, de bénin devient malin. Une double appartenance et, entre les deux : une faille, un monde gisant dans une réserve d’images et de souvenirs, un magma dans le fond du cœur, de l’âme.
Le jeune Obama - ce qui en langage fang veut dire « aigle » - quitte adolescent sa tribu du fond de l’Afrique pour suivre des études littéraires à Strasbourg. Juste avant son départ préparé, accepté, voulu par les siens, Elé le féticheur qui est aussi son grand-père, lui confie son sac, le désignant ainsi comme son successeur. Le jeune garçon enterre le sac compromettant au pied d’un oranger, et le lendemain Elé (qui veut dire « arbre ») meurt.
Obama vit sa vie en France, à Strasbourg où ses brillantes études le conduisent à enseigner la philo. Il rencontre Julia « (…) une Blanche, une blonde aux yeux bleus » (p. 45) dont il partage un temps la vie. L’Afrique, il la tient à distance, repousse cette ébullition qu’il sent pourtant monter en lui « L’Afrique était derrière moi, je la voulais lointaine » (p.42). Il vit par les mots, parlant comme bien souvent les étrangers francophones, un français qu’il défend contre les intrusions incongrues
« Cette langue qu’enfant j’avais apprise, pas un instant je ne songeai à la renier malgré les moqueries de mes camarades et de mes professeurs, pas un instant je ne doutai d’elle : quelque chose en moi s’opposa sur-le-champ à ces façons nouvelle de dénaturer la langue que j’entendais ». (p.26-27). Cette langue, il la pratique pure, brute.
Et un jour, un lapsus le fait tomber « votre travail est resté en friche » (p.69), écrit-il en marge de la copie d’une de ses élèves qui s’appelle… Laure Friche. Ne s’agit-il pas plutôt d’un rappel de sa terre natale, des friches de l’Afrique restée brute en lui, indéchiffrée, indéfrichée ? Tout s’enchaîne : son avancement de carrière est compromis, sa compagne ne parle plus en accord avec lui, il se sent tiré en arrière par le passé.
Il lui faut revenir « Ce n’est que bien plus tard que je compris que l’exilé est par définition celui qui se tourne vers ce qu’il a vécu, non celui qui s’en détourne » (p.114). Là-bas redevient, le temps de ses vacances, son ici, mais là-bas rien n’est le même : il ne parle plus, ne vit plus au même rythme. Obama partira en quête du sac enterré sans en retrouver trace. C’est seulement lorsqu’il se laissera porter que l’endroit où il est enterré se révélera. Bien sûr, le sac sera vide. Mais alors, Elé le féticheur que même son petit-fils n’a pas le droit de regarder dans les yeux rejoindra le « grand-père » qu’au temps de la vie en France d’Obama et dans son souvenir, il était devenu. « Supprime le bruit de la raison ». Cette parole qui me semblait dictée par mon grand-père, Elé, me ramenait, pas à pas, sur le chemin des choses » (p.129).
Alors, seulement, Obama lui aussi cessera d’être « double » pour devenir un. « Apaisé, je le suis, je le sens, je le constate. Une modulation nouvelle est née dans ma voix, plus égale et plus assurée, mon pouls ne s’emballe plus, ma respiration est plus étale, plus calme. Comme par magie, l’œuvre au noir m’a allégé ». (p.134).
Anne Morin
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