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Je cherche un homme, Hugo Chereul (par Gilles Cervera)

Ecrit par Gilles Cervera 25.01.24 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Je cherche un homme, Hugo Chereul, éditions Mané Huily

Je cherche un homme, Hugo Chereul (par Gilles Cervera)

 

Le civet Chereul

 

Certains écrivent comme d’autres peignent.

Lisant Hugo Chereul, j’avais Jean Rustin en tête ou Paul Rebeyrolle en fond de rétine. Une peinture dure, une peinture des sens et du cri, de la matière fécale ou humorale. Rustin et Rebeyrolle, par exemple, nous disent de regarder et, en même temps, nous retournent le regard à l’intérieur. Viscéralement, tripaillhaineusement.

Chereul est de cette toile intérieure, de ce coup de pinceau, une écriture au couteau.

Un roman hiémal comme il pourrait nous le dire dans un lexique élargi aux écorchés, à la clinique, subtile et sépulcrale. Hugo Chereul écrit depuis la forge des feux de l’âme, depuis la forge des feux de la folie. Pas la douce folie des névroses, plutôt la dure à cuire, la belle et puissante psychose, l’indescriptible et indéchiffrable.

Nous, coups pour coups.

C’est que, dans ce récit, cette biographie, ce chaos existentiel, il y a eu des vies vraies, des blessures tranchantes, des destins qui s’emboîtent les uns dans les autres et, comme l’os, se déboîtent, se décalent, cassent et se fracassent.

« La tête de son humérus vient de se déboîter. Elle est sortie de la glène – cette coupole concave dans laquelle s’insère normalement l’os du bras – et vient de passer sous l’omoplate. Vaisseaux sanguins arrachés, nerfs et tendons tordus, Bruno-Diogène n’a plus d’épaule désormais, seulement un bras qui pend dans le dos ».

Chereul parle de la vie de son père, le susdit Bruno-Diogène. Il le cherche encore, l’humain dans l’inhumain, le doux dans l’âpre, le beau dans le laid, au moins ce livre en trouve de ses parts, meilleures et pires. La littérature frôle la clinique mais reste littéraire, déployant une théorie du fou si douloureuse, si affolante que le lecteur en est retourné. L’alittérature comme aurait dit l’honni Lacan, roi des jeux de maux.

Chereul-fils décrit Chereul-père. La dérive d’un homme dont on cherche où il est, comment il se nomme, où il habite. Même si on a quasiment son adresse et son numéro de téléphone. On a le nom de la rue ou celui des pharmacies où le fils adolescent va chercher d’un coup de mob les médocs du père que le père s’auto-prescrit.

Le père est un anesthésiste de l’hôpital Pontchaillou.

Le père habite Saint-Grégoire. Puis Chantepie.

Au bout d’une de ces rues de lotissement banales de la métropole rennaise qui se termine en impasse où les enfants peuvent encore taper la balle. Si le lecteur est rennais, il va tout reconnaître. Il peut même craindre, à un moment, de se retrouver au fil des pages face à un voisin connu, un toubib croisé ou une figure appréciée. Peur sur la ville ! Le roman se lit d’un trait, vaguement terrorisé. Pour un lecteur de Marseille ou de Hambourg, il ne sera qu’un name-dropping poétique. La Vilaine qui meurt à Pénestin ne sera qu’un soulagement marronnasse mais lyrique et le corps du père un tas de haines recuites, de paranoïa, d’hallucinations. Son abri : un tonneau de bile, de vomis, de crasse et de mouches à merdre.

Mauvaise bière à tous les étiages.

Le roman est un roman pour survivre. C’est un grand roman d’abysses. Un voyage au fin fond des impossibles deuils. De ces morts qui surviennent, souvent des suicides, parce qu’un être totalitaire exerce une emprise sadique, lui-même étant sous celle de ses fantômes.

Le fractal effraie car il fait effraction.

Chereul nous parle de son père, de son frère, de sa mère. Il nous fait entrer dans une prison familiale dont le geôlier est un prédateur sans doute involontaire. Contrairement à Bombard, l’autre bon docteur, ce naufragé !

Il y aurait un livre comme il y a des bouées. Il serait l’écriture comme il y aurait à se soustraire à l’assignation. Il y a le roman comme un amer.

Un grand livre sur nous tous avec une incursion chez un homme de culture, ami d’Étiemble ou de Lacan, aussi de Laborit. Ce dernier regarde les rats et les teste. Le père use des siens, les écrase sous les savoirs, abuse de sa culture pour broyer ses proches, aussi les patients.

Un destin rennais.

Et breton. Bruno Chereul, futur carabin déjà carabiné, a traîné du côté de mes chers Lanrivain ou Glomel et là, dans un ossuaire ouvert aux vents, lui, a osé. Il a passé son bras à travers les volutes de pierre, a volé – violé ? – un crâne. Festa stultorum ! De tous les gestes interdits, il s’affranchit. C’était le début des franchissements. Il faut bien vider le tonneau de Diogène. Hugo va jeter le crâne dans les incinérables, dans un grand sac plastique noir avec les restes. Tous les restes. Dont ce roman à lire comme on va à Eymoutiers au musée Rebeyrolle.

Comme un temps concassé, où les événements sont proustiens, mais toujours hard !

La peur au ventre. Le père aux gémonies.

Aussi fin cuistot, le paternel, qui nous aidera subtilement demain à mitonner un civet de lièvre (p.190 !). Civet, étymologie cebula, la meilleure recette sans compter un désossage chirurgical à la clé. Le fils a tellement aimé le civet du père et ses leçons d’anatomie. Tellement qu’il n’y aura plus aucun civet du dimanche midi sans voir en volutes, au-dessus de la Staub, les pages brûlantes d’Hugo Chereul !

« Des centaines de moucherons volettent mollement mais sûrement dans sa cuisine et son salon ; il en traverse les nuées sans les voir. Dans ses toilettes – il défèque toujours à côté – vrombissent de grosses mouches bleues qu’il n’entend pas… ».

 

Gilles Cervera



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A propos du rédacteur

Gilles Cervera

 

Gilles Cervera vit entre Bretagne et Languedoc.

Instituteur, psychanalyste, auteur entre autres de

L’enfant du monde et Deux frères aux éd Vagamundo à Pont Aven.