Jan Bardeau & compagnie, Jan Bardeau, Sébastien Russo
Ecrit par Cathy Garcia 12.02.16 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie
Jan Bardeau & compagnie, mgv2>publishing, août 2015, illustration Seb Russo, 40 pages, 5 €
Ecrivain(s): Jan Bardeau, Sébastien Russo
Jan Bardeau s’empare des mots, les triture, les malaxe, les lance contre les murs, d’où ils rebondissent, l’écho parfois est effrayant, car ce jeu faussement léger, non exempt de plus ici d’autocontraintes, c’est pour révoquer le vide, la solitude crasse, « la hideur abrupte », le dur « qui courbe & brise & broie, bousille le beau » et gripper les mécanismes froids et déshumanisants d’un système entonnoir qui se gave de lui-même.
Jan Bardeau & compagnie, c’est un duo : Jan Bardeau et Seb Russo. Jan avec ses mots, Seb avec ses dessins, ses corps d’encre qui se tordent, se vident, se déforment, dégoulinent, étirés, vrillés, enchaînés. Et le poète est comme ce clodo au nez de clown. Clodo ou ouvrier ? C’est un peu du pareil au même non ? Un pas de trop et hop, à la casse.
« petites mains jusqu’à ce qu’ils les prennent sur leur tronche, les petites mains »
Nous sommes tellement nombreux à être des clowns plus ou moins fatigués. Nous amusons parfois la galerie des portraits poudrés, cette basse haute-cour où « les uns parlent d’importance, les autres s’imprègnent de l’art de picorer » et « s’évertuant à favoriser la guerre de chacun contre tous ».
Et chacun « se toise, arrondit le jarret sans arrêt ».
Nous sommes nés, nous petites gens, comiques muets accrochés à nos barreaux à l’image de ce Buster Keaton qui nous interpelle en couverture et surtout en quatrième, derrière, là où on range les oubliés et où on peut lire : « Gerber le nœud qui me suffoque, abandonner toute réalisation, m’épargner l’uniformité des lendemains, m’extraire du passé stratifié, enfin choisir, choisir enfin, puisque le limon des possibles s’assèche, que ne demeure que l’attente ».
Alors Jan Bardeau choisit des mots (c’est ce qu’il nous reste non ?), et sous un air nonchalant, l’air de ne pas y toucher, il en fait des tableaux, des trouées dans la ville. L’insatisfaction chronique peut aussi être un bon lubrifiant pour le moteur, les sens restent en alerte, et « les vaches, queue en balancier ponctuent la rondeur des collines ».
Insatisfaction, c’est la moindre des choses non, vous avez vu la gueule du monde où « les caddies s’agglomèrent » ?
« Cette civilisation va clamser sous ses déchets, d’avoir becqueté comme une truie insatiable ».
Alors l’ouvrier résigné, complice malgré lui, produit toujours plus et encore ce qui le dépossède et de son verbe de poète retourne le quotidien, ce « somnambulisme insane » comme un gant, on en voit alors battre les veines et le cœur à nu qui s’emballe pour un rien, car « seuls nos cuirs durcissent & se racornissent ».
« Je me gorge et regorge de lyrisme, dégorge le cynisme, mes crocs réclament la viande du concret pour emplir le vide qui ravine un univers édifié sur la carence ».
Le poète est un pauvre comme les autres, mais il respire encore, et ce trop clairvoyant, ce trop respirant, offre à qui veut les fruits de ce souffle, il tend ses mots à ses alter-egos et se demande « comment pulvériser les cailloux incrustés sous leurs paupières » ? Cependant le poète est un solitaire aussi, pas forcément par goût, mais plutôt de l’autodéfense.
« Sollicités à l’entr’aide par la nécessité, sans doute désapprendrions-nous nos balivernes & nous guiderions-nous mutuellement vers la bonté, sans doute, mais je crains mon semblable, ce salopard, & le déteste ».
Cathy Garcia
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A propos de l'écrivain
Jan Bardeau, Sébastien Russo
« Il lui a demandé d’écrire les biographies des deux auteurs qui nous occupent ci-devant, ceux-là, oui, Russo, Bardeau, Barreau, Dusso, voilà, eux, lui il veut bien écrire des biographies, qu’il lui a répondu, mais il ignore s’il en est capable et il ne connaît pas forcément si bien leurs vies, aux deux, là, oui, ceux-là, alors tant pis il s’y colle quand même mais qu’il ne se plaigne pas si c’est loupé. Le premier, là, lui, est un anglo-berrychon, et l’autre issu de l’immigration ritalienne de Sicilie, du sud, en bas, toc, pile vers la mer, boum ; lui, il écrit des trucs mais souvent plus souvent il ne les écrit pas, et c’est plutôt mieux comme ça, lui, par contre, il dessine des trucs, et souvent il les dessine, et bon, bof, des fois c’est bien, des fois c’est pas bien ».
Jan Bardeau a commis aussi Nocturne intra-neural (UPNT n°6, mai 1998) et plus récemment Jardin de poussières (non signé) et une plaquette avec son complice Seb Russo encore, Le voyage somnambule. Patrice Maltaverne en parle ici :
http://poesiechroniquetamalle.centerblog.net/rub-jan-bardeau-.html. Le site de Seb Russo, c’est ici : http://www.seb-russo.com/seb-graphiste/.
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A propos du rédacteur
Cathy Garcia
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Rédactrice
Domaines de prédilection : littérature française et étrangère (surtout latino-américaine & asiatique)
Genres : romans, poésie, romans noirs, nouvelles, jeunesse
Maisons d’édition les plus fréquentes : Métailié, Actes Sud
Née en 1970 dans le Var.
Premier Prix de poésie à 18 ans. Premiers recueils publiés en 2001.
A Créé en 2003 la revue de poésie vive NOUVEAUX DÉLITS. http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com
Fin 2009, elle fonde l’association NOUVEAUX DÉLITS :
http://associationeditionsnouveauxdelits.hautetfort.com/
Plasticienne autodidacte, elle compose ce qu’elle appelle des gribouglyphes, mélange de diverses techniques et de collages. Elle illustre plusieurs revues littéraires et des recueils d’autres auteurs. Travail présenté publiquement depuis fin 2008 et sur le net :
http://ledecompresseuratelierpictopoetiquedecathygarcia.hautetfort.com
Elle s’exprime aussi à travers la photo, pas en tant que photographe professionnelle, mais en tant que poète ayant troqué le crayon contre un appareil photo : http://imagesducausse.hautetfort.com/ Ce qui a donné lieu à trois Livr’art visibles sur internet dans la collection Evazine :