Jamais, Véronique Bergen
Jamais, novembre 2017, 126 pages, 16 €
Ecrivain(s): Véronique Bergen Edition: Tinbad
Paradoxalement là où la voix se ferme et s’éteint, Véronique Bergen ouvre des possibles. Ecrivant ce récit, l’auteur est pris par quelque chose qui vient du plus profond, du plus fort, et qui ramène à la sidération, de déprise et en reprise, dans le mouvement de l’écriture. Ici la voix de la mère juive exilée et débordée par les remugles de l’Histoire s’excède dans un mouvement autant jouissif que colérique. Bref la figure maternelle se débonde sans que pour autant le récit ne capote dans l’autofiction.
Le roman parcourt une seule heure de la vie d’une femme : le temps que la mère puisse énoncer ce qu’elle ne peut pas dire, sinon par les mots de l’autre : sa fille qui en filigrane lui impose la rectitude de sa texture lexicale. Mais s’opère une sorte de renversement entre les mots de la mère et le contrôle qu’exerce l’écrivaine sur eux.
C’est une thématique qu’Hélène Cixous a déblayée et que Véronique Bergen poursuit en creusant la sensation d’un moment où la mère et la fille sont déportées vers des terres que ni l’une ni l’autre ne voulait a priori aborder. L’auteure garde le mérite de transporter et d’être transportée par quelque chose qu’elle feint de ne pas maîtriser totalement. Soudain, comme sa mère, des mots parlent à sa place, la débordent, mais ici avec une intentionnalité programmée. Il s’agit de crever à la fois un passif, l’abcès maternel : celui de n’avoir pu vraiment parler donc d’être comme elle aurait pu l’espérer.
Le personnage maternel s’empare de celle qui est à la fois l’élue et l’exaspérante. Sa fille qui demeure en « off » tout en restant l’ordinatrice du livre. Véronique Bergen, par ce biais, capte la colère épidermique de celle que l’Histoire n’a en rien épargnée. Elle épouse ironiquement et amoureusement sa ligne de folie, sa quête d’un absolu impossible qui recoupe les failles d’une époque marquée par la Shoah.
L’auteur devient la médiatrice exaspérée et amusée de la mère en s’aventurant dans les zones de son inconscient. Elle le réanime par le biais d’une langue qui ne peut s’inventer d’autres possibles mais qui atteint – via l’auteure – des confins des pulsions violentes et où une réalité flambe tant que faire se peut. Les mots sont parfois sauvages, multiples, aux confins du dicible, là où le réel et les vocables flambent et leur donne vacille.
Jean-Paul Gavard-Perret
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