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J’étais à deux pas de la Ville Impériale (7/10)

Ecrit par Didier Ayres 16.10.14 dans La Une CED, Ecriture, Ecrits suivis

J’étais à deux pas de la Ville Impériale (7/10)

 

Dans une salle des ventes

Moi, je ne suis pas concerné.

Tous les deux ?

C’est très différent de nous.

C’est donc si mystérieux.

Quatre fois pas an, juste un aller et retour à Portland, et parfois à la saison froide.

Grave ?

Non. Juste croire en quelque chose.

Mais c’est tout en désordre.

Ne dis rien, ne fais rien, n’écoute rien.

Elle est morte en 88.

Et le jeune homme de dix-huit ans qu’elle a choisi pour son film ressemble au fils de ce peintre, tu sais, qui a perdu la raison l’année dernière à Beyrouth.

On ne peut pas savoir.

Croire ?

Tu veux dire, l’école française et ses scènes de genre.

Mais, tu inclus Callot ?

Il a des intérêts dans l’aéronautique et les transports, ce qui veut dire que c’est « fin de siècle ».

Une somme quand même.

Pas tout à fait rien.

C’est si important ?

C’est le nombre d’indivisaires qui pose problème, et le fait que la pièce a été acquise avant son mariage, régime de la communauté ; tu me suis ?

J’entends, tu sais.

Ils voulaient faire machine arrière et interdire la présentation de la collection Daum.

Je ne comprends pas.

C’est toujours très difficile de le joindre.

Comment faire ?

 

Le fumoir d’un hôtel à Genève

Ah, tu es là ?

Je ne serais pas avec lui ici sans les sœurs Himselles. Par exemple, je vais à Paris, je signe le contrat avec l’orchestre national philharmonique, et elles trois, comme des bons anges, qui disaient qu’il fallait éclairer davantage le plateau, me mettre en avant. Mais, la vie n’est pas ailleurs, elle est bel et bien dans la musique. Pas ailleurs. L’orchestre, avec à la tête, le remplaçant, toute la pression de ces jours derniers, et, j’ai gardé le fil, je suis revenue à Paris, pour garder le fil.

A Dublin, on ne fait rien. Beaucoup d’argent, de grosses automobiles avec des verres teintés, et dieu sait quoi ! Mais pas l’amour du public, ce qui ne se communique pas.

Je suis sûre de mon jugement, et je sais que j’ai été excellente.

Lui, il ne buvait jamais avant de travailler, jamais, vraiment jamais. Il avait vécu dans un asile, parce qu’il avait été élevé par son oncle, qui était médecin. Moi ce sont des choses que j’éprouve directement. Il me disait, quand il était heureux, si heureux du succès de la tournée, que si c’était un autre siècle que le nôtre, il aurait refusé de jouer. Il ajoutait, l’homme est mort, vive l’homme. Ou, dieu est mort, que vive dieu.

C’était toujours pareil, durant le travail de répétition et les tournées, très sobre. C’est un homme extraordinaire. Presque fou.

Non, pas presque, vraiment pas comme les autres. L’homme est capable de s’écrire comme une fiction, justement, parce qu’il est mort. Et il continuait sur dieu et la métaphysique, le sacré, et les Cantates de Bach, dont les sacrées ne sont pas toujours titrées. Et avec aisance, comme s’il ne disait rien. Par exemple, il aimait tant son grand chien blanc, Farrago, qu’il lui écrivait des lettres depuis Gênes ou Cracovie.

Et puis, sa loge, toujours fleurie de magnolias, des rameaux extraordinaires.

Ça me faisait toujours un effet de le voir si heureux, et même des fois trop, juste pour ce petit Raphaël qu’a mis au monde sa troisième fille, il pleurait, il pleurait.

Et toujours très attentif.

Et ses trois sœurs, toutes les trois vieilles filles, et fines comme du Sèvres.

Ce qui lui donnait cette folie, c’était le public, l’amour du public.

Alors, il ne tombait jamais tout à fait. Vingt-quatre standing-ovation.

C’est le grand siècle. C’est notre siècle à nous disait-il. Et il a raison. Une fois sur deux on dit que c’est fini, qu’on a été trop loin et qu’on n’y reviendra pas. Et pourtant, c’est encore beau. Oui, si beau, si étrange. Seul l’interprète ressent cette émotion. Et seul il est capable de la rejouer, de faire passer encore un peu plus de sensibilité. Lui seul. Une sorte de suspension dans les limbes du théâtre. La vraie fin, si vous voulez, c’est un homme nu. Oui, fait de l’intérieur par sa propre nudité. Et c’est ça qui produit la beauté. Vous comprenez ?

 

Didier Ayres

 


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.