J’aime le mot homme et sa distance, Florence Pazzottu (par Didier Ayres)
J’aime le mot homme et sa distance, Florence Pazzottu, éd. Lanskine, février 2020, 200 pages, 18 €
Poésie et narration
Il devient vite évident, à la lecture du dernier livre de Florence Pazzottu, que sa vision est double. Il s’agit, je crois très nettement, de faire un poème et de faire un récit de soi. Narrer sa personne, et à partir de cette dernière, englober la réalité saillante de l’autrice prise à la fois dans son existence et son écriture. Cette écriture oscille entre poésie et chronique, ou plutôt se défait de son geste au sein de sa rédaction. Elle raconte tout autant qu’elle exerce une langue, disons, chantée – pour décrire ce mouvement qui appartient aux vers. On ne quitte pas le fond des scènes qui occupent la poétesse.
Ainsi, son texte complète mieux sa personne, l’explique, la justifie, l’organise, la rend dialectique. Là est l’occasion de décrire, un peu à la Rohmer, 45 épisodes des amours compliquées d’une femme – sans doute l’écrivaine mais dépeinte en fragments – qui transitent par des SMS, lesquels se transforment en annales savantes, ou pour aborder ailleurs dans le recueil les traumatismes d’une petite fille – que l’on devine comme celle de l’enfance de Florence Pazzottu – où tout se ferme sur une expression double.
C’est à la fois vers et prose, monde de l’adulte et monde de l’enfant, blessure et soin, description de simples heures et le balayage de toute une vie, qui nous entraînent dans une espèce de spirale, où l’on ne reconnaît ni rime ni discours, mais quelque chose qui se dresse devant, qui se hisse et exhausse l’écriture et le vivant.
Et par le jeu savant de cette relation, on voit dans le poème une histoire, et pourquoi pas, l’Histoire. Du reste, écrire est considéré parfois comme une mimésis, une saisie de réel dont écrire est l’allégorie. Ainsi, la finalité consiste à construire habilement un équilibre entre le vivant et le chant lyrique. En définitive le lecteur soustrait ce qui lui importe, comme s’il ne pouvait défaire en lui, ce que ce mélange lui procure comme satisfaction esthétique – en l’occurrence comparable, puisqu’il s’agit de formes d’écriture fluides, à ces eaux des grands fleuves se jetant dans les océans et qui mélangent de cette façon les eaux douces et salées, quand les marées gagnent les estuaires.
Que Poésie n’évite rien.
Son amour de l’expérience
doit lui apprendre à se défendre
du pleinement dont elle est grosse
– que poésie se sache trouée ! –
Une discipline d’étonnement ?
Il faut bien néanmoins que poème
se fixe, fasse l’épreuve dure
– du chiffre et du récit !
Ce qui est visé, c’est une sorte de « poèmhistoire », de « poèrécit », que j’associe un peu à ce que Jean Sénac nomme le « corpoème ». Derrière les lumières étouffantes de la vraie vie, on devine les lueurs mélangées épaisses et aqueuses, capables de faire le demi-jour sur le destin de l’écrivaine. Et tout le plaisir esthétique revient à ce que l’on devine de ce tableau au milieu d’une espèce de rondeau musical où s’alternent vie et mort, dire et écrire.
Didier Ayres
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