J'ai fait l'amour avec la femme de Dieu, Serge Gonat
J’ai fait l’amour avec la femme de Dieu, octobre 2012, 204 p. 18 €
Ecrivain(s): Serge Gonat Edition: Myriapode
Récit fantastique ? Ecriture poétique délirante ? Conte de la folie peu ordinaire ?
Il y a un peu de tout cela dans cette histoire déroutante.
Bernardo, pieux puceau, vit à Quérouville, une société hors du temps où les règles du Bien et du Mal sont édictées par le mystérieux chef spirituel manichéen de l’Armée De Salut, un certain Lazard, qui s’évertue à détourner ses ouailles du péché de luxure.
Le Mal, le sexe en l’occurrence, est incarné, clame ce saint homme, par Madame Gilbert, la tentatrice, qui, en incitant Bernardo à lui faire la lecture des Onze mille verges d’Apollinaire, œuvre indexée comme satanique par Monseigneur Lazard, a pour dessein de le dévoyer et de l’amener à perdre avec elle son pucelage et davantage.
Lisez-moi ceci, Bernardo. J’insiste. J’exige. Surtout pas de morale, de religion…
Le ton était ferme, le regard exprimait une détermination sans faille ni borne.
« Les Onze mille verges ! Madre de Dios ! Este un livro por los diablos ! » monologua-t-il.
Le combat s’engage entre les deux forces, qui tiraillent chacune vers soi le pauvre Bernardo à qui mieux-mieux.
Bernardo confesse ses séances avec la diablesse à un sbire de Lazard chargé de veiller sur lui en guise d’ange gardien, un certain Léo, un sourd-muet qui, « parlant » par le canal du souffle de sa bouche où il mâchonne à longueur de jour une herbe magique, exprime en catéchumène sa réprobation et fait la leçon à l’adolescent pour tenter de le ramener sur la voie de l’abstinence.
Bernardo succombera-t-il aux charmes de la succube au détriment de sa pureté angélique initiale ? Une première partie du roman est fondée sur ce douloureux dilemme :
« Persévérez ! Vous irez au septième ciel et vous renaîtrez de moi […] », lui promettait-elle.
Pendant ce temps, autour de lui, des voix, dont celles de Lazard et de Yago s’élevaient. Elles l’expédiaient en enfer…
L’intrigue est simple, le schéma narratif n’est pas nouveau, la thématique est universelle.
Toutefois ce livre est singulier. L’écriture, souvent poétique, en est, ici et là, débridée, fantasque, voire complètement folle. L’imaginaire s’emballe, le héros, à partir du moment où il tombe dans le piège que lui tend Madame Gilbert, ne fait pas que la pénétrer… au sens commun de l’acte. Il ne peut plus se détacher d’elle, il s’introduit en elle, progressivement et, paradoxe, régressivement, jusqu’à ce que s’opère une étrange symbiose à l’issue de quoi Bernardo se recrée, littéralement, sous la forme d’un spermatozoïde qui doit lutter au sein d’une multitude de « congénères » pour la conquête du Graal que représente l’ovule à féconder.
« Mon corps est un amas d’aventures à découvrir », confessait la dame.
Tout au long de ce voyage à rebours, Bernardo revit, « revoit » les phases successives de la conception de son propre être jusqu’à son expulsion sanguinolente de la matrice originelle. La récréation avec la divine pécheresse devient à proprement parler une re-création.
Mme Gilbert est à la fois la femme et la rivale de Dieu. Mais elle lui est supérieure. Pendant que Dieu-Lazard parle, moralise, théorise, légifère, sa Femme crée, enfante, produit, génère.
Ce livre doit se lire comme un hymne à la Femme, à la déesse mère de nos mythes antiques, à Astarté et à ses innombrables avatars…
Patryck Froissart
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