Italies Fabulae, Angèle Paoli
Italies Fabulae, juin 2017, 94 pages, 18 €
Ecrivain(s): Angèle Paoli Edition: Al Manar
Qu’il est plaisant de se remémorer les nombreuses Italies que l’on a pu vivre, aimer, tissées d’amours de voyages, d’amitiés croisées !
Angèle Paoli rameute le souvenir d’Alfea : « elle portait un prénom étrange qui la rendait inaccessible ». A Syracuse, « a surgi le visage d’Alfea », c’était beaucoup plus tard, dans un autre souvenir, précieusement revisité, précautionneusement conservé.
Les récits, mêlés de mythologies personnelles et inaltérables, traversés de voix (Mona), guident le lecteur dans l’histoire toute « embroussaillée » de mémoires, de pas, ceux des périples, ceux-là même du temps qui grouille sous le front de la voyageuse qu’est Angèle, Canarienne du Cap Corse, que l’environnement de mer, de roches, de villages perchés, nourrit, au-delà des incursions italiennes.
Est-il encore possible d’évoquer Venise, sans tomber dans les redites, les superbes poncifs ? Oui, mille fois oui. Angèle Paoli revisite l’île San Michele, « l’île des morts », et y fait stopper le « vaporetto (qui) glisse sur la lagune, eau lisse, vaguement huileuse », étrange réminiscence dans les mots du si beau film lagunaire d’Antonioni, quand, barque arrêtée, Christine Boisson, si belle, si triste, du moins son personnage, trouve que l’endroit exprime tant de « solitudine » ! Paoli a sûrement vu cet Antonioni-là. En tout cas, son livre en parle, sans le nommer. A moins qu’il ne s’agisse de la « mer huileuse » de l’Avventura.
Burano, San Clemente défilent. Et la « passegiata » méridionale ajoute au charme de ces récits qui plongent dans la mémoire, dans les années.
Les phrases, le style, légers, fluides, phrases brèves, images concentrées, dessinent, sans forcer l’imprégnation délicate, élégante dont l’auteur se sent investie, pour nous la transmettre en capillarité littéraire, profonde, culturelle :
« Les années ont passé. Ils ont voulu refaire le même voyage. Inès a gardé dans les os le souvenir de l’humidité, du froid glacial qui tombait par moments des montagnes. Elle a gardé en mémoire l’image de la première neige sur la découpe étincelante des Apennins » in Italies Fabulae d’Angèle Paoli (éd. Al Manar), p.35.
La poète relate ses italies, manière de restituer sous forme de récits brefs l’empreinte des voyages véritables, intérieurs, imaginaires.
De la Venise des « condottiere » à celle des guerres incessantes, fratricides, entre Milan et Florence, entre Florence et Pise, Paoli traverse l’histoire, l’art, consigne dans ce livre d’italianiste experte les mille et une beautés, entre affût des sentiments et observation au scalpel de toiles ébauchées, qui donnent lieu à des récits hauts en couleurs, pleins de soldats « musculeux », de corps en torsion, de batailles ancestrales, violentes toujours, gravées dans l’inconscient collectif.
La couverture est une reproduction d’œuvre de 1464 (oui !) due à Maso Finiguerra.
L’auteure des Feuillets de la Minotaure et de Tramonti poursuit sa quête des lieux magiques, propices autant à l’imagination amoureuse qu’à l’initiation culturelle supérieure – celle qui grave en nous lecteurs ses marques d’érudition lente et vraie.
Philippe Leuckx
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