Introduire un peu d’art dans nos sentiments, Jean-Paul Michel
« Le prix qu’il faut payer pour la réalité »
Je me retrouve rarement devant un livre sans un sentiment particulier pour l’auteur, car j’aime voir l’homme formulé derrière le livre. Ici, encore, avec ce livre de Jean-Paul Michel, qui investit le discours en philosophe et en poète, je ressens une personne investie par Hegel et Marx, jusqu’en ces temps d’aujourd’hui.
Enfants intrépides des Lumières, Hegel, Marx, Comte avaient nourri des optimismes conquérants. Les procès de Moscou d’un côté, Auschwitz d’un autre, Hiroshima enfin opposèrent une dure contrepartie à ces rêveries.
C’est là le cœur du livre. Et quelle mesure violente pour un poète que d’avoir sa pensée payée au tribut politique du siècle finissant, avec son euphorie dialectique et ses cauchemars guerriers. Mais rien de manichéen dans la conception de ce vêtement de discours. Plutôt des nuances, des oppositions de bloc et de détails, avec cette impression de la chimère du Baudelaire des Petits poèmes en prose, et des lumières contrastées sur les oppositions dialectiques de la pensée.
J’ai reçu ce livre accompagné du bon de commande du numéro 56 de la revue NU(e) – consacré à notre auteur – qui s’accompagne du fameux questionnaire de Proust, ce qui me permet de citer la réponse faite par le poète à une des dernières questions.
« Mon idéal quant à la manière, dans l’art ».
Réponse de Jean-Paul Michel :
« La chose même ».
Donc la chose même, c’est ce dont se défont les mains du poète, entre la réalité où il s’exerce et le besoin de sacré pour un vocabulaire poétique, opposition vive entre la réalité étroite et tout le langage. C’est une vraie question littéraire. Citons :
D’un côté, la « réalité de fait des choses » – les enchaînements nécessaires qui en procèdent. De l’autre, le besoin de la conjurer, qui est tout l’essence humaine – magies, religions, raisons, politiques, arts. Aucune voie d’échappement à ce conflit constitutif de tout projet humain possible – de toute pensée, de toute action.
Pour Jean-Paul Michel, je ne sais pas s’il y a un hiatus entre la position de l’homme dans la société et son regard sur la réalité effective de cette société-là. C’est ici la leçon essentielle du livre, et qui oblige à argumenter l’inconnu propre à la littérature, et la faire s’incliner vers plus de réalité. Cette mission poétique est-elle une action violente du temps ? S’il faut croire en cette note en bas de page 18 touchant l’architecture, l’art a cette possibilité.
L’architecture, pour ne donner qu’un exemple, outre le cahier des charges reçu touchant ses fonctions techniques, pratiques, symboliques doit donner de la beauté aux habitants, aux citoyens, comme aussi aux voyageurs, aux simples passants d’une ville, si bien qu’il est de la responsabilité des arts de donner à chacun le sentiment de l’honneur reconnu de son existence, du salut donné à son passage, de l’amitié de son accueil.
Cet opuscule est animé de grands mouvements dialectiques : individu/foule, forts/faibles, classe dominante/classe laborieuse. Et puisqu’il me fallait ici rassembler mes idées, laissez-moi finir par le titre de cette étude, titre qui découle de la dédicace que le poète m’a faite, en substance, qui parle « du prix à payer pour le poète, dans sa quête de réalité et de nuances ». C’est une « vision » des choses qui me va très bien et je remercie chaudement le créateur des éditions William Blake.
Didier Ayres
- Vu: 3162