Inépuisables, Vivian Gornick (par Sylvie Ferrando)
Inépuisables, octobre 2020, trad. anglais (USA) Laetitia Devaux, 224 pages, 20 €
Ecrivain(s): Vivian Gornick Edition: RivagesCet ouvrage, constitué d’un ensemble d’articles de réflexion littéraire, pour certains ayant été entièrement ou partiellement déjà publiés, permet à Vivian Gornick de mieux cerner les contours de son personnage de femme, de femme juive new-yorkaise, de féministe, de socialiste et d’écrivaine et critique littéraire.
C’est en effet un livre qui tourne autour du désir – le désir érotique des écrivains et de leurs personnages, surtout féminins, et le désir de lecture, de redécouverte, d’interprétation et de réinterprétation des textes. Gornick connaît bien la littérature française : Colette, Duras sont pour elle des auteures de prédilection – Chéri, L’Amant, sont décryptés à l’aune de l’expérience personnelle de la jeune – ou moins jeune – critique américaine. Aller jusqu’au bout de son désir, tel est le but de Vivian Gornick.
L’ouvrage part d’un constat : relire des œuvres qu’on a aimées, lorsqu’on les a lues et découvertes plus jeune, apporte un enrichissement considérable sur le plan tant littéraire que personnel. Gornick cherche dans la diégèse des personnages romanesques des clés d’entrée, des analogies avec sa propre expérience, ses propres amours, sa propre compréhension du monde. Les personnages (ou leurs auteurs) auxquels elle s’identifie sont ainsi surtout des femmes qui ont conquis leur liberté. Le personnage est vu comme un prolongement de l’auteur.
De la romancière Elizabeth Bowen, La Maison à Paris (1935) et surtout Les Cœurs détruits (1938) incarnent la « vie sous couvercle », l’emprise amoureuse et/ou érotique, l’angoisse existentielle dont Gornick cherche, avec plus ou moins de succès, à se déprendre. La judéité, le féminisme de l’auteure sont ensuite analysés, passés au tamis de la littérature, avec Le Monde est un mariage de Delmore Schwartz, qui évoque les juifs new-yorkais, ou bien grâce à l’univers de Saul Bellow, ou encore à celui d’A. B. Yehoshua, conteur de Jerusalem et de la judéité. En partie grâce à cette littérature, Gornick prend conscience de son statut de fille puis de femme juive, enserrée dans des traditions pétries de sexisme. Si Gornick est devenue américaine, elle sait que c’est en tant que femme, non en tant que juive.
En effet, The Solitude of Self de la féministe Elizabeth Stanton a donné à Gornick le sens du « moi » et lui a appris la force de sa solitude intérieure. Mais c’est Mon métier de Natalie Ginzburg qui lui a indiqué la marche à suivre de l’écriture littéraire : « […] elle m’a non seulement permis de trouver le type d’écriture pour lequel j’étais faite, mais aussi d’adopter, en incluant ma propre expérience à mes essais, la même attitude qu’un écrivain de fiction qui explore la vie intérieure de ses personnages ». Il s’agit pour Gornick d’identifier et de dénouer les conflits intérieurs, à l’instar de Montaigne, qui se met en scène dans ses écrits.
Pourtant, certaines relectures sont des déceptions : Doris Lessing, avec Les Chats en particulier (1967), finalement révèle que sa description des chats, tout comme l’est sans doute sa description des hommes, n’est qu’une lutte pour le pouvoir. C’est là, pour Gornick, la force, mais aussi la limite de la grande écrivaine féministe devenue prix Nobel de littérature.
Au bout du compte (ou du conte), nos lectures et nos relectures nous en apprennent autant sur l’auteur et sur le monde que sur nous-même. Relire un livre, que l’on a déjà auparavant annoté d’une couleur, en surlignant les passages importants d’une nouvelle couleur, est une expérience inoubliable.
Sylvie Ferrando
Née en 1935, journaliste au Village Voice et figure féministe incontournable, Vivian Gornick a surtout connu le succès avec ses textes autobiographiques. Le plus célèbre, Attachement féroce, publié en 1987, a paru pour la première fois en français en février 2017. Après La Femme à part, qui poursuit l’œuvre de recherche intime de l’auteure dans les rues de New York, voici Inépuisables, dans lequel Gornick revient sur les auteurs qui ont marqué sa vie.
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