Il y avait des rivières infranchissables, Marc Villemain (2ème critique)
Il y avait des rivières infranchissables, Marc Villemain, Joëlle Losfeld, octobre 2017, 145 pages, 14,50 €
Ecrivain(s): Marc Villemain Edition: Joelle LosfeldJ’emprunte le titre de ma chronique à Marc Villemain lui-même, ou plutôt au narrateur de la dernière nouvelle de son nouveau recueil, Il y avait des rivières infranchissables. Je devrais dire à la rumeur qui entoure son dernier personnage masculin : un auteur de romans et de nouvelles, installé à Venise avec sa compagne. La Nostalgie, c’est toujours un retour, un nostos. Les treize premières nouvelles du livre sont marquées du sceau du retour à l’enfance, à l’adolescence ; du retour au pays océanique ; du retour au temps des chocolatines, des magasins Carrefour, des boums, des mobs ; à la musque écoutée sur une cassette audio. Retour enfin « aux premières fois », aux premières histoires d’amour souvent sans lendemain. Titre au passé.
Les personnages des nouvelles (filles et garçons) sont sans prénom ou nom, juste des « ils » ou des « elles » comme s’ils vivaient à travers chaque texte une expérience, presque une expérimentation du désir, des sentiments. Ils pourraient être aussi le même (c’est essentiellement le regard du garçon, son point de vue qui importe ici) à qui il arrive ces diverses aventures. Ils n’ont pas besoin d’être rattachés à une identité définie puisque l’important se situe dans ce présent (verbal) de l’adolescence et parfois de l’enfance.
La brièveté des nouvelles en vérité les prive volontairement de toute ligne de vie : il s’agit d’un épisode (le bal, des moments à la ferme, un repas dans un chalet, un concert de heavy metal…) qui cristallise la découverte érotique dans toute sa maladresse, son hésitation, son « infranchissable » appel. Les douze nouvelles aux teintes parfois ironiques abandonnent leurs personnages au bord du chemin, parfois dans un état de fiasco comme disait Stendhal. Solitude du jeune collégien, mort tragique dans une rivière de la petite amoureuse, impossibilité à choisir l’élu(e). L’incertitude, l’inachèvement de la question Qui sait ? résume assez bien l’art d’aimer dans le recueil.
Pourtant, en contrepoint de l’enchantement nostalgique, teinté de déception, Marc Villemain construit en fin de compte un hymne à l’amour qui débute avec sa dédicataire (Marie) et son retour dans la treizième et ultime nouvelle. La compagne autobiographique, l’amante de la chanson de Brel qui fait titre. Le livre est tout entier appelé par sa « chute », par ce qui l’accomplit. Aux duos, aux trios adolescents éphémères s’oppose le couple âgé qui a traversé l’existence côte à côte. Les villages, les petites cités balnéaires au bord de l’océan disparaissent au profit de Venise. L’italien mord sur le français et la nostalgie n’est plus ce qu’elle était ; le retour ou le flashback n’ont plus lieu d’être. Marc Villemain anticipe sa propre vieillesse, sa propre mort et celle de sa bien aimée. La dernière phrase sera d’ailleurs écrite au futur. La dernière nouvelle en fait vampirise les précédentes. Le personnage de l’écrivain sur la fin de sa vie est celui qui a écrit (p.141) Le petit jaune, Le bal, Petite fermière et Ik hou ook van jou, ou encore (p.142) Douceur en milieu tempéré, Qui sait. Il n’est pas uniquement l’auteur de ces textes mais bien celui qui a vécu tous les moments rapportés dans les différents textes : Tout y passe, jusqu’à ses amours enfantines.
La musique, les chansons sont aussi autant de miroirs sonores de cette initiation affective et sexuelle (les slows), et ce, des premières amours jusqu’à la mort à deux. On entend au fil du texte, et même sur son seuil avec les 2 épigraphes, une playlist datée, une sorte de programmation « radio nostalgie » du début des années 80, avec Michel Jonasz, Trust, Goldman, Cookie Dingler ou Foreigner. La première de couverture évoque aussi le temps déjà ancien du walkman. Mais la dernière chanson intemporelle de Brel, écrite en 1967, résonne telle une ode à l’amour qui résiste justement au temps, à « la tendre guerre », et illustre l’histoire du couple comme si, à la fin de son recueil, Marc Villemain rendait hommage à cet amour immense, prolongement merveilleux de ces jeunes amours ébauchées et maladroites, comme si la rivière avait été enfin traversée.
Marie Du Crest
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