Il y a poésie, Mathias Lair
Il y a poésie, éd. Isabelle Sauvage, 2016, 164 pages, 17 €
Ecrivain(s): Mathias Lair
Le livre de Mathias Lair peut se prendre comme une suite de « Lettres au jeune poète ». Au plus vieux aussi. L’auteur y propose son Ars Poetica par sauts et gambades plus que par tyrannie du logos. Et comme l’on dit, « ça dépote ». De manière jouissive et judicieuse. Le prétexte de caresser une forme poétique ne suffit pas à se prétendre poète. La connivence est remplacée par la distance nécessaire ente la réalité et le fantasme de l’écriture. La « tutoyer » impose un trouble double que même la seule expertise ou diagnostic autocritique ne suffit pas à établir.
Au premier rang des risques ou « incestes » (comme le dit Lair) inhérent au genre : l’idéalisme de supposés illuminateurs qui se prennent pour ses gourous (et parfois ses lacangourous). Ils réduisent à une théosophie de plus. D’autant que se cache souvent « sous » le prétendu poète un psychotique : il ne souffre pas (à l’inverse d’un Beckett) de ne pas être né, mais de n’avoir pas été « identifié ». L’objectif sera de faire savoir à la terre entière son état d’« inséparation » mais n’est pas Artaud qui veut. De cette maladie infantile surgit un totalitarisme, un besoin dérisoire de toute-puissance qui « puise à nos racines premières ».
Dès lors sous « le fumet de la poésie » se cache « l’odeur infecte de la restriction morale ». Celle-ci devient un pare fumet qui se refuse à faire respirer le vivant au nom de nostalgie et autres plaisanteries du même acabit sous une syntaxe et d’un « caveaubulaire » (Prigent) qui ne sont même pas une peau : un écran, une impasse. Le genre reste prisonnier des « idéaux religieux du surgénérateur phallique » où à l’inverse d’un vide parfait : « ce qui reliait, faisait religion, évanoui dans la fumée des bûchers et des crématoires ». Chacune des postulations demeure inopérante à qui prétend jaillir de « source sûre »…
Se lancer dans l’inconnu sans se prendre les pieds dans le piège d’un langage qui tourne sur lui-même n’est cependant en rien une sinécure. L’objectif impérieux de la recherche d’une image la plus sourde ne doit pas se confondre avec la fausse simplicité d’un désir de « fraternité ». Ce tic ne fait souvent qu’accorder du charme au suranné comme celui des « restaurants typiques des “mères” de la vallée du Rhône, leurs tables garnies de toile Vichy et leurs recettes à base de produits du terroir ».
La démarche de la « vraie » simplicité est d’un autre ordre. C’est celle qui anime la poésie depuis Mallarmé et relayée par Beckett. Ce que le premier nomma « la crise de vers » doit permettre d’aller plus loin afin d’édifier le langage loin des vieux plumages. Il faut en effet atteindre non la chose mais sa « choséité » (Beckett). Et c’est un tout autre problème puisqu’il s’agit de laisser libre cours à un processus ouvert qui ne cherche pas à convaincre d’une vérité.
En conséquence, Mathias Lair se refuse de considérer la poésie comme une excrétion nécessaire. Trop de pseudo poètes ne proposent que l’« examen de leurs selles ». L’auteur prend sa distance par rapport à de telles dispositions incertaines afin que le lecteur entre en symbiose avec une vision plus profonde de l’être et du monde et afin qu’il soit tiré de sa nuit afin de donner une réponse au « qui je suis » voire au « si je suis ».
Trop souvent la poésie éloigne de la comédie humaine et Mathias Lair avance au besoin échine basse dans l’animalité, en reste aux choses simples. Sans recours à l’utile au sein de ce qu’il en est de l’usage des mots, il demande d’en finir ou plutôt de recommencer dans une incertitude aussi tremblée qu’énervée en attendant la récréation retorse et cavalière : temps passé il faut revenir à une journée que l’ennui jusque-là enrobait de sa poussière.
(Sauf indication contraire, les citations sont tirées du livre de Lair)
Jean-Paul Gavard-Perret
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