Ibn Khaldoun : la Kabylie, la femme, le couscous et le burnous !
Souffles. In "Liberté" (Algérie)
En réponse à une question relevant des frontières du pays des Berbères avec brio, Ibn Khaldoun (1332-1406) a dit : la contrée des Berbères débute là où les hommes portent le burnous et s’arrête là où les gens ne mangent pas du couscous. Ce propos parvenant d’un savant de la taille d’Ibn Khaldoun nous rappelle la place déterminante qu’occupent l’art vestimentaire et l’art culinaire dans la définition de l’identité d’un peuple. Le costume est une langue. L’habillement n’est pas neutre. Tout est codifié, significatif et porteur de messages.
J’ai pensé aux dires d’Ibn Khaldoun, en observant l’état honteux vers lequel a dégringolé le costume algérien, masculin comme féminin. L’aliénation commence par l’habillement. Dans la visibilité de la femme ou de l’homme, rien n’est impartial. Je ne suis pas nostalgique, mais la femme algérienne d’aujourd’hui, par son costume, ne ressemble en rien à la femme algérienne de jadis ! Et je ne suis pas nostalgique ! Elle ne ressemble ni à ma mère Hadja Rabha, ni à Djamila Bouhired, ni à Zhor Wannici, ni à Beggar Hadda, ni à Taos Amrouche, ni à cheikha Remiti, ni à cheba Yamina, ni à Lalla Fathma n’Soumer, ni à Assia Djebar, ni à Farida Saboundji, ni à Hassiba Boulmerka, ni à ma grand-mère Hadhoum, ni à… !
Un petit détour dans les archives des années soixante et soixante-dix de la Télévision nationale, dans les archives du cinéma algérien, dans les archives du théâtre, dans les archives des reportages photos de l’APS, dans les albums familiaux… sur toutes les photos, toutes les images, la femme algérienne signait son identité, d’abord par son costume ! Dans son costume kabyle, tlemcénien, chaoui, targui, m’zabi, constantinois, algérois, oranais… elle était belle, séduisante, pudique, bent familia, mais avant tout algérienne… Dans son beau costume on la sentait en harmonie avec elle-même. C’était elle, l’Algérienne et pas quelqu’un d’autre !
Dans une société dont la culture de l’hypocrisie est dominante, le voile islamique importé a changé sa charge idéologique. Il n’est plus la bannière islamique des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. En ces jours, il est porté en tant que parapluie afin que la femme s’achète la paix sociale et fuie l’œil affamé du loup ! Otage d’une société machiste et hypocrite, en puisant dans la culture de la ruse, la femme utilise le costume islamique afin d’élargir l’espace de sa liberté sociale. Dans une société où la culture de l’hypocrisie masculine est dominante, la femme dissimulée sous ce parapluie socio-religieux se sent libre, une liberté soumise et violée. Dans une société masculine d’apparences, de semblant, la femme voilée est tolérée à fréquenter les coins les plus sombres, les plus soupçonnés. Otage d’une société hypocritement religieuse, la femme abandonne son costume algérien au profit d’un autre saoudien ou afghan afin d’envahir hypocritement l’espace public masculin suspecté.
Dans cette ère socialement hypocrite, religieusement fourbe, voici quelques caractéristiques du costume d’une jeune femme algérienne d’aujourd’hui : un voile sans identité, un pantalon jeans dont les ourlets sont foulés par des baskets Nike ou par une paire de savates en plastique, un veston en cuir porté sur une djellaba pakistanaise, afghane ou marocaine portée sur un pull syrien, à son tour porté sur une chemise turque mal brodée, le cou entouré d’une écharpe chinoise, des lentilles en couleur de marque taïwanaise et un parfum contrefait jordanien ou libanais embaume son passage confus ! L’tham a disparu ! Le haïk a disparu ! L’adjar a disparu ! Lmalaya a disparu ! L’fota a disparu ! Le foulard a disparu ! Nos belles femmes ne sont plus là ! Dans une société hypocritement religieuse, on avance vers l’arrière !
Amin Zaoui
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