Hôtel du Grand Cerf, Franz Bartelt
Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa 07.06.17 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Seuil
Hôtel du Grand Cerf, avril 2017, 352 pages, 20 €
Ecrivain(s): Franz Bartelt Edition: Seuil
Sans ôter une once d’originalité au dernier roman noir de Franz Bartelt, force est de constater que ce texte relève en partie d’un croisement subtil et efficace, et pas forcément involontaire, entre la plume de Georges Simenon et celle de Frédéric Dard.
Des Maigret, on retrouve la capacité de l’auteur à dresser le portrait au scalpel d’une petite ville de province, ici Reugny dans les Ardennes belges, avec son atmosphère étouffante, ses secrets enfouis, ses haines, ses personnages ambigus et ses taiseux.
Des San-Antonio, surgit le personnage principal, l’inspecteur Vertigo Kulbertus, dont le physique et la personnalité sont d’origine typiquement bérurienne.
« L’inspecteur Vertigo Kulbertus constituait à lui seul, du moins en volume, la moitié des effectifs de la police belge » (p.57).
Quant à la description faite par San-A de Bérurier dans le livre San-Antonio chez les macs, elle s’applique mot pour mot à l’inspecteur Kulbertus. « Un rustre, un soiffard, un butor, […] une espèce de jugeote matoise qui équivaut à du génie ».
L’intrigue est à la fois extrêmement riche et très classique :
Eté 1999. Parti préparer le tournage d’un documentaire sur la mort suspecte en 1960 à l’hôtel du Grand Cerf de Rosa Gulingen, ex-star du cinéma, le jeune Nicolas Tèque trouve le bourg de Reugny en pleine effervescence après le meurtre d’un ancien douanier dont la haine pour tout natif de ce bourg n’a d’égale que le soin qu’il a pris pendant des années à noter sur des dessous de bocks de bière les innombrables turpitudes de ses habitants.
« Il détenait des vérités, prouvées et recoupées, qui, autrefois, auraient pu envoyer la moitié de la population à l’échafaud et l’autre moitié au bagne » (p.29).
S’ensuivent coup sur coup une disparition et deux nouveaux meurtres qui viennent compliquer l’enquête de l’inspecteur Kulbertus, dépêché par sa hiérarchie sur les lieux à quatorze jours de sa retraite. Tout se mêle : le passé avec les heures sombres de l’épuration en 1944, la mort de l’actrice classée « accidentelle » en 1960, le présent avec son hécatombe de cadavres, et tout se tient.
Si la recherche à rebondissements du ou des coupables satisfera à satiété l’amateur de roman noir, si l’humour décapant reste l’un des piliers majeurs de l’écriture de Franz Bartelt, l’attrait principal d’Hôtel du Grand Cerf réside dans la multitude de flèches lancées par l’auteur pour fustiger les travers d’une société dont il décortique avec soin les plus sombres recoins. Rien ne lui échappe. Du Centre de Motivation installé à Reugny adoptant des méthodes nazies pour optimiser le rendement des cadres d’une multinationale, des rapports antagonistes entre Wallons et Flamands, des discours et décisions finement caricaturés d’un délégué syndical à la tête d’une manifestation, en passant par les envolées lyriques de débitants de limonade dressant le panégyrique des alcooliques ou encore le mépris quasi consensuel pour l’idiot du village, les traits s’accumulent sans alourdir ni troubler le fil de l’intrigue. Jalousie, hypocrisie, ressentiment, avarice, cupidité, égotisme, etc., la liste interminable des sentiments pervers semble avoir élu domicile au sein de la bourgade. Peu de personnages échappent au jeu de massacre, beaucoup endossant des culpabilités qu’ils transmettent de génération en génération jusque dans leurs silences.
Franz Bartelt dans ses romans noirs, comme dans ses nouvelles, n’hésite pas à appuyer là où ça fait mal dans une société dont il pointe du doigt les travers, la bêtise, la lâcheté et la bassesse. Utilisant le personnage loufoque et outrancier de Vertigo Kulbertus comme détonateur et révélateur, les armures se fissurent, les masques tombent. Mais que l’on ne s’y trompe pas, chez cet auteur la morale finale est toujours imparfaite à l’image des êtres qu’il décrit et la vérité « n’est jamais qu’une façon d’organiser le mensonge ».
C’est jubilatoire, cruel, charpenté, ciselé, profond et léger à la fois, bref… c’est du Franz Bartelt.
Catherine Dutigny
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A propos de l'écrivain
Franz Bartelt
Franz Bartlet est né en 1949 de parents d’origine poméranienne installés dans l’Eure puis, quelques années après la naissance de Franz, dans les Ardennes. Il commence à écrire dès l’âge de treize ans et quitte l’école à quatorze ans pour travailler. Il enchaîne les petits boulots et est embauché à dix-neuf ans dans une usine de papier à Givet.
A partir de 1980 il se consacre à temps plein à l’écriture. Poète, nouvelliste, dramaturge et feuilletoniste, il donne également huit pièces de théâtre à France-Culture et des chroniques estivales au journal L’Ardennais. À partir de 1995, il connaît la consécration avec la publication de ses romans, tous applaudis par la critique et, pour certains, sélectionnés pour les prix littéraires : Les Fiancés du paradis ; La Chasse au grand singe ; Le Costume ; Les Bottes rouges (Grand Prix de l’humour noir) ; Le Grand Bercail ; Terrine Rimbaud ; Le bar des habitudes (Prix Goncourt de la Nouvelle) ; La mort d’Edgar.
A propos du rédacteur
Catherine Dutigny/Elsa
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Rédactrice
Membre du comité de lecture. Chargée des relations avec les maisons d'édition.
Domaines de prédilection : littérature anglo-saxonne, française, sud-américaine, africaine
Genres : romans, polars, romans noirs, nouvelles, historique, érotisme, humour
Maisons d’édition les plus fréquentes : Rivages, L’Olivier, Zulma, Gallimard, Jigal, Buschet/chastel, Du rocher, la Table ronde, Bourgois, Belfond, Wombat etc.