Hospitalité des gouffres, Réginald Gaillard (par Philippe Leuckx)
Hospitalité des gouffres, éd. Ad Solem, novembre 2020, 128 pages, 17 €
Ecrivain(s): Réginald Gaillard
Doublement fêté par le Prix Max-Jacob et le Prix Verlaine de l’Académie française, Hospitalité des gouffres, préfacé par Jean-Yves Masson, est un grand livre. L’oxymore du titre dit assez la conscience poétique de son auteur, près d’affronter les affres de l’enfance comme les promesses « à la cendre ».
Si les ténèbres « rôdent », il y a foi en la force même du vers « qui persiste dans le crâne », telle une lumière. Il faut porter des fardeaux, et « les temps sont courts » ; il faut user de légèreté pour saisir « une main qui soulève la tempête du salut ». Atteindre « l’arbre de vie » : tel est le vœu de ce livre fortement architecturé. Entre désir, constat, souhait et espérance.
Le « gouffre » était là, loin dans le temps, au temps des femmes de l’enfance. « Un enfant de ferme désormais seul » pleure ses « terres jurassiennes ». Un poète rameute le meilleur, quitte à énoncer ces blessures sans repos, sans répit.
Nous voilà lecteur hôte des gouffres !
L’écriture privilégie les distiques et tercets qui rythment ces poèmes ponctués de souffles et respirations ; cette « partition intérieure » incise le propos, le rend plus subtil, le scinde en petites flexions, justes et prenantes :
« Si peu de lumière, dans cet infâme chaos,
persiste et enflamme au pinacle ta beauté.
Préserve-la dans le souvenir intact
que tu portes de la clarté la plus pure,
avant que revienne, à la fin,
la douce violence de l’éblouissement ».
Les figures (oxymores, injonctions, symétries, métaphores) dessinent un art poétique exigeant dans « la percée des mots ».
Le livre, copieuse réflexion sur les profondeurs d’une âme, interroge son propre auteur, cet « homme qui vient », « qui vient seul », en quête d’aide et d’appel, pour obtenir de « toi seul (qui) a(s) les mots qui guérissent ». Ecrire doit « arracher » les mots, selon une détermination qui implique tout entière la conscience d’être et d’agir.
Cette implication nous vaut nombre de questions ardentes qui révèlent une âme (« Pourquoi te laisses-tu vaincre par le vide ? »). Les réponses sont dans l’acte même d’écrire, en sourdine, avec délicatesse, ce contrat exigeant avec soi-même.
Philippe Leuckx
Réginald Gaillard, poète et écrivain français né en 1972 à Béthune, est l’auteur de quatre recueils de poésie, dont : L’attente de la tour ; Polymères ; et d’un roman remarqué, La Partition intérieure.
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