Hormis la joie, Pierre Andreani (par Didier Ayres)
Hormis la joie, Pierre Andreani, éd. Sous le Sceau du Tabellion, février 2021, 96 pages, 13 €
Fouillement
Mon travail critique a le mérite de me faire ressentir de la joie et bien souvent de la curiosité pour des textes nouveaux qui me parviennent. C’est le cas ici avec ce livre de Pierre Andreani, où la difficulté non pas de trouver une clé dans ce mystère, mais un surcroît d’intensité en découvrant la personne, le poète derrière ses lignes, est devenue au cours de ma lecture justement cette clef-là que je cherchais. Ainsi, je crois avoir compris où la signification rationnelle venait buter, grâce à une expérience de la langue profonde et énigmatique. Cette double compréhension – moi lisant un texte feuilleté par un divorce entre l’épithète et son explication – s’est révélée une gymnastique dans laquelle ce qui est intervallaire a plus de poids que la réalité des sens, que la teneur intellectuelle des définitions et des sèmes.
Cette utilisation du vocabulaire reste de cette façon une espèce d’étonnement radical et continu, ouvrant sur une musique intérieure. Est-ce une tension vers une écriture hermétique ? Je crois qu’il faut surtout retenir l’indécision. Ne pas décider du sort des poèmes. Les laisser vaquer à leur travail en dedans. Il s’agit surtout pour le poète d’offrir au lecteur le labeur d’excavation que produit ce fouillement dans les signes. Ainsi, je suis resté dans une ambiguïté, car déstabilisé par ce que je cherchais à trouver dans cette amphibologie de l’expression de Pierre Andreani.
nous sommes coiffés en arrière
comme des saints gommés…
le sens profond ne m’importe plus,
délier le muscle qui colle aux parois
de chair, ébruiter l’affect sordide pour
échapper aux reproches habituels
suspendre enfin en soi l’anémie et aller
vers l’avant, vers demain qui corrompt
On pourrait comparer le voyage que j’ai fait avec ce livre à cette scène célèbre du Stalker de Tarkovski. Celle donc où le stalker se retrouve dans un lieu étrange traversant de petits tas de sable gris, peut-être de petites meules de poussière ou de cendre, en tout cas signifiant le risque de la traversée, de cette odyssée poétique considérée comme une quête.
lire et relire l’adresse de la mariée
souvenir d’un palmier planté dans l’eau,
deux anges se cachaient dans le coin de la pièce,
(rouquins et brûlés au coude), aux deux
très longues canines plantées dans du cuir,
adoubant les chorégraphes : on a parlé
de la joie, de la prière, de psychologie générale…
quel effort de venir en soi pour terroriser
J’opterais alors au sein de cet opus, pour une langue déconstruite bâtissant une sorte de chambre où l’on pourrait se tenir dans un état d’éveil, éveil nécessaire pour voguer nous aussi dans le mystère. Du reste, on voit se dessiner une pente vers un domaine spirituel, à l’évocation de paraboles, dont le sens appartient non pas à la lettre mais à l’esprit. D’ailleurs, la Bible est un sentier personnel, du moins pour un lecteur d’œuvres littéraires. Hormis la joie est pour moi ce dessin, ce dessein de poursuivre le soi dans la parole, et ce faisant, de montrer une confiance un peu étrange envers le langage. Quoi qu’il en soit, ce recueil est une aventure de la langue.
Didier Ayres
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