Histoire du débarquement en Normandie, des origines à la libération de Paris 1941-1944, Olivier Wieviorka
Ecrit par Vincent Robin 05.04.14 dans La Une CED, Etudes, Les Dossiers
Histoire du débarquement en Normandie, des origines à la libération de Paris 1941-1944, Olivier Wieviorka, Ed. Seuil-Ministère de la Défense, mars 2014, 416 pages, 39 €
Complétés d’illustrations, certains traités historiques font parfois peau neuve et entament ainsi une heureuse seconde vie. Les photos ou graphiques associés aux récits confortent en effet bien des fois la sagacité, la vérité et la persuasion des propos tenus. Ces compléments déjouent en outre souvent les abstractions de l’écrit grâce à des figurations ou représentations ainsi livrées directement. Au sein de plus détaillés sujets d’histoire, les choix et les dosages de ces insertions iconographiques détiennent alors un rôle complémentaire de précision et d’authentification, gages majeurs d’intérêt et de potentielle fascination.
D’une telle alchimie soucieuse s’extirpe la mouture nouvelle de l’Histoire du débarquement en Normandie du très éminent Olivier Wieviorka. Déjà paru en 2007, mais assorti cette fois de documents photographiques assez inédits – et dans tous les cas toujours soigneusement dosés et commentés –, l’ouvrage monumental de l’auteur refait glorieusement surface par l’intermédiaire des éditions du Seuil et du Ministère de la défense. La nouvelle conception de ce livre, qui précède tout juste par sa diffusion le soixante-dixième anniversaire du débarquement allié sur les plages normandes (6 juin), ne saurait alors plus judicieusement annoncer la commémoration prochaine de l’événement, que des rappels abondants de faits historiques annexes auraient aussi tendance à occulter ou même à minorer dans l’actualité effervescente des célébrations mémorielles…
Sur l’étendue presque déserte d’un littoral tout hérissé de pieux en bois enchevêtrés entre eux, se tient un mystérieux photographe. Qui douterait qu’il ne soit de nationalité germanique ? Non loin, coiffé de son prestigieux képi et revêtu d’une longue capeline noire aux pans ouvertement dépliés par les vents d’hiver courant sur ce lit de marée basse, le Führer en personne surgit au-devant des obstacles dressés là.
Le petit homme, cependant grand meneur du Reich, se distingue en effet nettement qui s’élance sur le sable épais d’un pas ouvert et décidé mais qui trahit aussi les marques de son inquiétude. A sa suite, se presse une petite escorte de trois soldats qui ajustent avec déférence leur démarche à celle de leur impétueux leader. Que vérifient-ils ensemble ? Que se disent-ils ? En cet instant, l’obturateur malicieux de l’appareil du reporter s’ouvre puis se referme en un court déclic (cliché p.172-173). Pétrifiée, silencieuse…, la scène ramènera pourtant bientôt la parole…
« L’échec d’une tentative de débarquement représenterait pour nous beaucoup plus qu’un succès local sur le front de l’Ouest. Ce serait l’élément capital dans l’ensemble des opérations de la guerre et donc dans le résultat final. Les 45 divisions actuellement stationnées en Europe – front de l’Est excepté – nous font défaut en Russie ; il faut que nous les transférions là-bas aussitôt la décision emportée à l’Ouest, de manière à obtenir un renversement total de la situation » (p.157).
Ainsi s’exprimait Hitler, le 20 mars 1944 devant ses généraux. A la lumière de ce discours velléitaire du chancelier, se justifient amplement ses inspections personnelles menées auparavant jusque sur des plages françaises bientôt infestées d’embûches.
« A raison d’une moyenne de 100 pieux par jour et par personne, une équipe de 850 hommes devait travailler durant 30 jours pour couvrir 50 kilomètres – soit le front théorique d’une division » – indique Wieviorka (p.164) sur la question des moyens de défense développés par l’Allemagne le long du littoral français de 1944. Confiée à deux caciques du staff stratégique hitlérien, la défense militaire des côtes continentales ainsi déployée ne pouvait suffire à leurs yeux à dissuader ou même à refouler un débarquement invasif. Au 23 avril 1944 déjà, en réclamant à l’urgence au Commandant supérieur de la Wehrmacht, Jodl, « la libre disposition des forces mobiles », Erwin Rommel prétendait en effet que cette condition empêcherait seule ou limiterait au pire les effets d’un inéluctable débarquement allié. Depuis le départ de ces agencements protecteurs des côtes françaises, notamment lors de la construction dudit Mur de l’Atlantique (West Wall), le général responsable de la défense de l’Europe du Nord-Ouest, Gerd von Rundstedt, ne se berçait également d’aucune illusion quant au repoussoir que devaient constituer ces installations théoriquement préventives. Toujours restait-il plutôt acquis à la concentration massive de troupes devant remplir à l’abord des plages une mission dissuasive et plus certainement défensive.
C’est bien pourquoi alors, au lendemain du 6 juin, le même ne manquait pas de s’exprimer en soulignant son amertume : « La défense a échoué. Aucune autre solution n’est possible quand on constate qu’une heure après l’heure H les troupes de tête traversaient les plages et que vers 9h30, on rapportait qu’au moins 2 des batteries côtières étaient hors service » (p.227).
Un débarquement le 6 juin 1944 sur les plages normandes…
Au tout début du second conflit mondial, lumineux prophète aurait été en réalité celui qui aurait su prédire l’événement. Non seulement lui aurait-il fallu en effet prédire qu’une offensive alliée menée contre Hitler passerait obligatoirement par un assaut de troupes depuis la mer, quand un secteur particulier du littoral français aurait été conjointement désigné par lui comme le théâtre le plus probable ou assuré de son déroulement.
A l’amorce de son très pointilleux et scientifique propos sur cette issue, Olivier Wieviorka rapporte pourtant : « Dès 1940, Winston Churchill créait un état-major pour les opérations amphibies (Combined Operations Staff), chargé de tester le matériel et de préparer des raids sur l’Europe occupée en attendant le grand jour. Mais le débarquement était ajourné à une date imprécise… » (p.18-19). Au temps de la bataille d’Angleterre et outre-Manche, un débarquement semblait alors déjà bel et bien à l’ordre du jour. Au regard des faits cependant, dut-on encore attendre deux années et le milieu de 1943 avant que ne soit finalement convenue, au moins entre l’Angleterre et les Etats-Unis, la perspective concrète d’une telle opération : « Avec les deux grandes conférences anglo-américaines qui suivirent – Trident à Washington (12-25 mai 1943), Quadrant à Québec (14-24 août 1943) –, les projets de débarquement se précisèrent enfin. […] Au total, Trident débouchait – du moins pouvait-on l’espérer – sur un consensus. Londres s’engageait fermement en faveur du débarquement en Normandie… » (p.33). Au 28 novembre de la même année, et lors d’une réunion tripartite à Téhéran, était enfin retenu le principe affirmé d’un débarquement en Europe du Nord-Ouest : « …la rencontre de Téhéran (Eurêka, 28 novembre-1er décembre 1943) marqua, de toute évidence, un tournant. Réunis dans la capitale iranienne, Churchill, Staline et Roosevelt prirent enfin des décisions concrètes qui influèrent directement sur la destinée d’Overlord… » (p.37).
Impréparation du camp allié, bisbilles entre nations et entre chefs expliqueront, selon que l’on soit déçu ou rétrospectivement enthousiaste, le mode relativement long de mise en place d’une réponse ferme apportée aux agressions d’Hitler sur le sol européen. Le consciencieux travail récapitulatif de Wieviorka ne pouvait ainsi faire économie d’un retour aux heures débutantes de la guerre. Les informations détaillées qu’il procure à cet égard expliquent ainsi cette interminable genèse ou cette gestation laborieuse du débarquement allié sur les plages normandes.
Curieuse époque alors que ces années de guerre 1941 et 1942. Celles pendant lesquelles, avec l’entrée fracassante de la Wehrmacht sur le sol soviétique durant l’opération Barbarossa (22/061941), avec l’attaque surprise perpétrée par l’Empire du Soleil Levant sur Pearl Harbor (7/12/41), avec la chute successive des places orientales anglaises (Hong Kong le 24 décembre 1941), vont se poursuivre les débats d’intérêts contradictoires entre Etats-Unis, Angleterre et Union soviétique. Première curiosité : contre la tiédeur du président Roosevelt et contre la majorité de l’opinion publique américaine toute encore traumatisée par l’attaque japonaise, le staff américain se prononce malgré tout pour unGermany fisrt, en retenant ainsi son choix d’orientation.
22/12/1941 : à la conférence Arcadia de Washington (donc après Pearl Harbor) se verra maintenue la priorité de guerre contre le Reich. Longtemps encore jalouse de la préservation de ses espaces coloniaux d’Empire orientaux et africains, l’Angleterre soutient en second lieu, mais seule face à ses amis, la théorie durable de la guerre d’usure, essentiellement livrée sur ce qu’elle appelle le « ventre mou » de l’Allemagne, c’est-à-dire côté méditerranéen…
Enfin, étonnante perspicacité de Staline, qui réclame inlassablement à ses nouveaux alliés de l’Ouest (visite de Molotov au printemps 42 à Londres, fort bellement illustrée p.27), non seulement une aide en moyens de défense et de survie, mais par-dessus tout, l’apparition d’un second et soulageant front ouvert à l’Ouest par les anglo-américains contre son partenaire de la veille (pacte germano-soviétique de 1939)…
C’est ainsi que Wieviorka met en relief ce que deviendra sous Overlord l’aspect final d’une priorité à laquelle, notamment en passant par-dessus l’obstacle de génération anglaise, l’on en viendra à une définitive entente : « Jusqu’en 1942, Roosevelt n’était pas resté insensible aux arguments développés par les tenants d’une guerre d’usure fondée sur une stratégie périphérique. Les chefs militaires américains s’en plaignaient, soupçonnaient le président d’être sous l’influence pernicieuse de la Grande-Bretagne en général et de Winston Churchill en particulier » (p.20).
Magnifique retour d’expérience et d’explication. Avec des preuves confortées par l’image, la reconquête des libertés autant qu’un débarquement militaire, de toute évidence cela ne peut pas s’improviser !
Vincent Robin
Olivier Wieviroka, né en 1960, est un historien français, spécialiste de l’histoire de la Résistance française. Il est professeur à l’École normale supérieure de Cachan.
Bibliographie :
Les Libérations de la France, en collab. avec Jean-Pierre Azéma, La Martinière, 1993, 293 p.
Méthode pour le commentaire et la dissertation historiques, en collab. avec Vincent Milliot, Nathan, collection 128, 1994, 128 p., éditions révisées, 2001, 2008, 128 p.
Nous entrerons dans la carrière. De la Résistance à l’exercice du pouvoir, Seuil, 1994, 451 p.
La France du XXe siècle, en collab. avec Christophe Prochasson, Points-Seuil, 1994, 734 p.; éd. révisée et augmentée, 2004, 766 p.
Vichy 1940-1944, (en collaboration avec Jean-Pierre Azéma), Perrin, 1997, 280 p., rééd. sans illustrations, Perrin, 2000, 374 p., rééd. en format poche, coll. Tempus, 2004, 374 p.
Une certaine idée de la Résistance, Seuil, 1998 - rééd. 2010, 487 p.
Les Orphelins de la République. Destinées des députés et sénateurs français (1940-1945), Seuil, 2001
(en) Surviving Hitler and Mussolini, en coll. avec Robert Gildea et Anette Warring, (dir.), Berg, 2006, 244 p.
Histoire du Débarquement en Normandie, Des origines à la libération de Paris, Seuil, 2006, 448 p.
La Mémoire désunie : Le souvenir politique des années sombres, de la Libération à nos jours, Seuil, 2010, 303 p.
Histoire de la Résistance : 1940-1945, éd. Perrin, janvier 2013, 576 p.
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A propos du rédacteur
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Domaines de prédilection : histoire, politique et société
Genres : études, essais, biographies…
Maisons d’édition les plus fréquentes : Payot, Gallimard, Perrin, Fayard, De Fallois, Albin Michel, Puf, Tallandier, Laffont
Simple quidam, féru de lecture et de la chose écrite en général.
Ainsi né à l’occasion du retour d’un certain Charles sous les ors de la République, puis, au fil de l’épais, atteint par le virus passionnel de l’Histoire (aussi du Canard Enchaîné).
Quinquagénaire aux heures où tout est calme et sûrement moins âgé quand tout s’agite : ce qui devient aussi plus rare !
Musicien à temps perdu, mais également CPE dans un lycée provincial pour celui que l’on croirait gagné.
L’essentiel paraît annoncé. Pour le reste : entrevoir un rendez-vous…