Helena, Jérémy Fel (2ème critique)
Helena, août 2018, 768 pages, 23 €
Ecrivain(s): Jeremy Fel Edition: Rivages
Décor : une ferme américaine perdue au milieu des étendues de maïs. Personnages : une adolescente en manque d’affection, une mère rongée par le secret et qui trouve son échappatoire dans un rêve américain. Ses trois enfants.
Action : la jeune fille tombe en panne, et atterrit chez cette famille apparemment sans histoires. Mais dans cette maison hantée, le pire va arriver. Et le cercle des vengeances sera impitoyable.
Ce récit interroge les relations familiales, et explore les situations les plus malsaines qui émergent de la détresse existentielle de chaque personnage. Les chapitres alternent les focalisations, pour explorer les pulsions les plus personnelles, les peurs les plus profondes.
Mais en même temps, l’auteur propose un moyen de les dépasser, en introduisant la fructuosité de la relation entre l’enfant et la mère, quand celle-ci l’encourage dans ses projets, quand son amour est un tremplin pour son accomplissement.
Cette lueur est cependant bien fragile. Dans ce monde férocement hostile, on ne peut avoir absolument confiance en aucune personne, puisque de toute manière, on est étranger à soi.
Et dans cette aliénation, chacun se découvre le tortionnaire d’un autre. Ce qui aboutit à un cercle infernal posant finalement une seule question : À partir de quand est-on responsable ?
Jérémy Fel signe un roman qui condense les peurs et les haines humaines dans leur paroxysme. Viol, vol, ogres, araignées clowns, sang, drogue, alcool… Tout y passe. Et c’est peut-être trop.
Mais l’auteur en joue-t-il, comme le laisse penser le clin d’œil « Elle eut presque l’impression de se trouver dans une série B » (p.194) ? Pendant plus de 700 pages, il imagine les scènes les plus terrifiantes et titille les nerfs, crée des attentes non abouties qui coïncident avec la paranoïa des personnages.
D’ailleurs (est-ce un choix ?), les protagonistes se caractérisent par une certaine vacuité. Les dialogues creux et les sentiments toujours ramenés à leur plate bestialité créent une impression de vide effrayant.
On finit par épouser leur paranoïa, du fait d’un style qui multiplie les détails, comme pour focaliser notre attention sur ces gestes normalement anodins, mais qui trahissent une obsession, une hantise.
Le style est sec, tel un scénario. Seules les descriptions les plus glauques se font presque lyriques, trahissant un goût jouissif pour le morbide et le malsain. La réflexion métatextuelle d’un personnage confirme cette démarche : « Si seulement il avait eu le même talent pour coucher toute sa haine, toutes ses peurs les plus profondes, sur le papier, les rendre plus acceptables aux autres… » (p.447).
Le style scénaristique rejoint le caractère « série B » de l’ouvrage, empruntant aux films américains et leurs personnages stéréotypés (et qui ont cette manie de faire des clins d’œil) : la mère courage, le poète qui fait craquer les filles, sans oublier les adolescentes pimbêches et pourries-gâtées.
Car tout est gâté dans ce monde chaotique, rongé par l’alcool ou la drogue. Et le défaut de cette exacerbation, c’est qu’elle peut finir par dépasser l’entendement… et la patience du lecteur. A force de personnages trop lisses, contrefaits et dépravés, de retours à la ligne dramatiques trop fréquents, le monde représenté perd de sa crédibilité. Ou alors, on se laissera convaincre par cette longue litanie de souffrances odieuses, qui veut toujours aller plus loin dans la violence.
Dès lors, un avertissement semble nécessaire pour ceux à l’humeur tranquille : alors que la catharsis délestera le lecteur inquiet de ses sentiments noirs, elle agira au contraire chez le lecteur apaisé comme la création de peurs inouïes et insupportables.
L’ouvrage voulait montrer la perversion la plus atroce, la haine la plus inconcevable. C’est réussi : le lecteur le plus sensible se trouvera oppressé de la première à la dernière ligne. Ou agacé par les symboles appuyés et répétés et les interminables cauchemars.
Fanny Guyomard
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