Hans Silvester, Pétanque et jeu provençal (Texte d'Yvan Audouard)
Hans Silvester, Pétanque et jeu provençal, texte d’Yvan Audouard, octobre 2015
Ecrivain(s): Hans Silvester Edition: Le RouergueLes sphères exercent une irrésistible fascination sur les habitants du globe terrestre. Elles suscitent spontanément une « gestuelle » et un imaginaire… J’ai la prétention de croire que, sur un terrain de boules, s’exprime une civilisation plus ancienne, plus complète, plus riche, plus sage (Yvan Audouard).
Face à nous des livres de photos et de grands tirages en noir et blanc de joueurs de Pétanque et de jeu provençal, dans la lumière du noir et blanc. Les photos de Hans Silvester saisissent ces regards des joueurs, sourires, tensions, doutes. Ils s’élancent, les bras se balancent, les corps dansent, on fixe la boule, des cercles se forment, c’est « un théâtre populaire où les hommes se retrouvent pour jouer et regarder ». Sous nos yeux, les ombres des joueurs et des arbres, ces platanes qui ombrent les images de Hans Silvester comme ils ombraient les romans de Jean Giono et les poésies de René Char. Le photographe lit les deux écrivains depuis les années 60, depuis son arrivée à Marseille et son installation dans cette maison ouverte sur les collines du Luberon. « Une ruine achetée pour la moitié du prix d’une 2 CV, aujourd’hui cela serait impossible ».
Rencontre avec Hans Silvester, Lioux, Vaucluse, novembre 2015
Ces photos ont été prises entre 1973 et 1977, j’ai commencé ici, à Roussillon, Gordes, après je suis allé un peu plus loin, à Cavaillon. J’avais des voisins, Monsieur Julian qui avait trois enfants, et son fils aimait vraiment jouer aux boules, donc on a joué ici et c’est comme ça que j’ai commencé. C’est après que j’ai vu que les boules c’est très important culturellement. Les hommes sont ensemble, c’était la qualité de vie de la Provence. Chaque village avait son terrain de boules, c’était un endroit de théâtre populaire et les hommes se rencontraient pour jouer, pour faire des gestes, pour parler et tout ca dépasse le simple jeu de boules, c’est un théâtre villageois, je l’ai senti comme ça. Aujourd’hui tout cela a beaucoup changé, mais à l’époque (dans les années 70), c’était vraiment ça.
Je voulais raconter toute cette histoire des boules, de la pétanque et du jeu provençal, les « vieux » étaient là et la Pétanque jouait un rôle très important, même s’ils ne jouaient plus, ils avaient un spectacle quotidien, c’était une sortie pour eux. C’était une qualité de vie que nous avons oubliée. J’avais lu Giono, Le Chant du Monde. Je suis arrivé à Marseille en Vespa et puis on m’a volé ma Vespa, alors j’ai continué en vélo. C’est comme ça que je suis arrivé en Camargue. J’ai fait mon premier livre en Camargue avec une préface de Giono (Camargue, Jean Giono, Hans Silvester, Lausanne, La Guilde du Livre, 1960). C’est un maître, un poète et en plus c’est l’un des premiers écologistes, c’est « l’homme qui plante des arbres », on l’oublie aujourd’hui en France. Et je trouve qu’en Provence on a eu cette énorme chance d’avoir deux grands « écologistes » c’est Giono et c’est René Char. Giono on a fait le livre ensemble, je l’ai revu après. Ce n’était pas un homme facile, vraiment un intellectuel avec ce don d’écriture, il écrivait très vite. La préface pour mon livre, il l’a écrite pendant un week-end.
Les joueurs c’est du ballet, il y a une élégance naturelle exceptionnelle. Dans tous les villages, juste après ces années 70, on a goudronné toutes ces places où on jouait aux boules, pour créer des parkings. C’est le lobby des « autos » qui a influencé les communes pour faire des parkings. On a démoli les terrains de boules pour des parkings, et ces parkings sont devenus trop petits, alors on a créé des parkings à l’extérieur des villages. Tout cela me met en colère. Il y a quelques mairies qui font marche arrière, on enlève le goudron et il y a à nouveau des terrains de boule.
Le photographe gêne les joueurs, donc si quelqu’un rate sa boule, c’est la faute du photographe, c’est évident. Je l’ai compris tout de suite. A Cavaillon où on jouait beaucoup d’argent, il n’y avait pas moyen de faire des photos si on n’était pas copain avec les joueurs. Donc j’avais trouvé un système, je faisais les photos l’après-midi, je rentrais à la maison, je développais les films, le lendemain matin je faisais les tirages, et l’après-midi j’étais sur le terrain avec les photos. Et ça a beaucoup plu parce que j’avais des photos et eux ils pouvaient rigoler sur les photos, et faire des commentaires, et c’est comme ça que petit à petit, plus le Pastis que l’on a bu ensemble, on est devenus copains. Et le Pastis est bon quand il fait chaud, mais ce n’est pas du tout des « saoulards », ce sont les « parisiens » qui le pensent. Ils m’ont reconnu comme photographe et après les bons joueurs quand je les ai revus à Marseille pour les grands concours, ils m’ont salué, et ils étaient contents. Aujourd’hui, les endroits pour jouer aux boules sont devenus froids, tout est organisé, comme le tennis avec des lignes blanches.
La lumière, c’est le soleil et l’ombre et les arbres qui créaient cet ombrage sur la terre, c’est magnifique, on a toutes les structures, j’ai joué là-dessus. A cette époque j’aurais préféré être un bon joueur qu’un photographe. Je suis quelqu’un de très lent, il me faut du temps, et je fais connaissance de mon sujet en prenant le temps. Tout le monde a fait des photos de Pétanque, mais jamais personne n’y a passé autant de temps, un an à photographier les joueurs, une saison de boule.
Une saison à regarder, à écouter et à cadrer dans le bleu du ciel, une saison au Paradis, dont cet ouvrage livre l’indélébile trace.
Philippe Chauché
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