Hana, Alena Mornštajnová (par Anne Morin)
Hana, Alena Mornštajnová, Les éditions Bleu et Jaune, juin 2022, trad. tchèque, Benoît Meunier, 336 pages, 23 €
Hana, personnage mutique, décharné, maladif, d’apparence effrayante, tout de noir vêtue et toujours des mêmes vêtements, traverse ce roman comme une incarnation de la meurtrissure et de la mort.
Hana, Mira sa nièce, les autres, les événements personnels, politiques, effroyables, dévoilent peu à peu cette femme qu’on fuit, qui fuit. Dans son sillage rôdent la déchirure, la mort bien amarrée à elle… jusqu’au plus profond de l’horreur.
A la toute fin du roman cette femme, totalement innocente, entièrement défigurée par la vie se révèle un adjuvant incontrôlable, mû sans aucune sorte de culpabilité que celle de porter l’amour et également le malheur.
Hana, jeune fille a pour elle beauté, vivacité, intelligence du cœur et de l’âme, et une indéniable qualité de brodeuse. Elle ne se raconte pas, elle tisse innocemment la blessure, préside malgré elle au destin des siens, personnage central qui revient d’au-delà de l’horreur – pour encore – la semer.
Figure ou incarnation du destin, le fait même de son caractère d’indestructibilité la rend ambivalente. Presque à aucun moment elle ne se sent – elle n’est – coupable, elle agit par amour, mais aussi de pair(e) avec une force qui la dépasse. Hana, l’instrument peut exactement épouser la célèbre formule : l’enfer est pavé de bonnes intentions : « Je ne pouvais pas dire à Mira que j’avais tué sa famille. Que je n’avais survécu à l’enfer que pour semer la mort » (p.334).
Roman de la déchirure, de l’horreur des camps de concentration, ce livre n’est pas qu’un roman de plus sur la montée du nazisme et la déportation, sur l’enfer et ceux qui en reviennent mais aussi l’incarnation d’un personnage poursuivi, ici et là-bas en même temps, aujourd’hui et hier, dans le même temps.
« L’homme fait des projets, mais il y a toujours quelque chose – événement, hasard, volonté maligne du destin – pour venir les bouleverser » (p.191).
Anne Morin
Alena Mornštajnová est une romancière et traductrice tchèque. Elle débute dans la littérature avec le roman La Carte aveugle, suivi de Un petit hôtel en 2015. C’est avec Hana (2017), plusieurs fois récompensée y compris avec le Prix du livre tchèque en 2018, et acclamée par la critique et les lecteurs qu’elle s’impose comme l’un des principaux écrivains contemporains tchèques. Elle est aussi l’auteur de deux autres romans, Des années de silence (2019), et Novembre (2021), et de livres pour enfants.
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