Gueule noire, Estelle Fenzy (par Murielle Compère-Demarcy)
Gueule noire, 54 pages, 12 €
Ecrivain(s): Estelle Fenzy Edition: La Boucherie Littéraire
Le responsable éditorial, Antoine Gallardo, le précise dans les remerciements inscrits à la fin de l’opus : « Tout comme moi, Estelle Fenzy ne s’imaginait pas au moment où elle me confiait ces tendres souvenirs d’enfance, qu’ils m’inspireraient une nouvelle collection ». Après la collection éminente des éditions de La Boucherie littéraire, « Sur le billot », Gueule noire ouvre ainsi la nouvelle collection « Sur le billot pour tous » avec un opus poétique s’adressant à des lecteurs de 7 à 107 ans qui souhaiteraient goûter « la saveur de l’enfance retrouvée ». Et celle-ci, universelle par sa période d’inédite exploration à un âge où les perspectives du monde offert sont encore indemnes, indéfinissables et terriblement ouvertes, est profondément palpable entre les pages de cette publication aussi rafraîchissante que chaleureuse, comme la tendresse peut remuer les herbes folles et verdissantes de l’enfance, réactiver la joie ou la nostalgie dans un présent traversé par les souvenirs.
Juin finissait
L’école aussi
J’avais reçu
le premier prix
un livre en couleurs
que j’avais choisi
Tu nous as invités
chez toi pour le goûter
m’as envoyée au grenier
chercher la farine pour Mémé
C’est la réouverture des lucarnes de l’enfance, le bruissement des souvenirs effilés par la feuille (de boucher) de la mémoire qui revisite nos sensibilités à vif et le fusil du tempérament qui s’accorde aux ressentis et au retentir du monde pour en affiner la saveur sans en émousser le tranchant. La délicatesse participe à la poésie du vivant ici revécue et servie dans l’essence du texte, avec sa synesthésie sentimentale sans pathos.
C’est aussi la reformulation d’un monde remodelé dans l’expérience de ses labeurs (« aller au charbon» pour une « Gueule noire », figure symbolique… allégorie d’une vie laborieuse terriblement vivante) :
Dans tes yeux
les terrils
ce n’étaient pas
ces déchets
montés du fond
ces débris en collines
plus tristes que le ciel
C’étaient
des seins d’ébène
de la poudre de volcan
soufflée d’un sablier brisé
C’est une mise en abyme du poème à l’œuvre entre les lignes de la vie sur le billot où l’on ne peut se défiler sauf à y perdre son âme, sauf à y perdre ses tripes… La poésie mord sur le bord de la feuille le rutilant de ses souvenirs / de ses vertiges, la Gueule noire, ou, vert-soleil quand ils remontent de l’enfance heureuse… : « Aujourd’hui / qu’ils reviennent / sortent de leur tiroir / pirouette souris verte // Je les écoute doucement / traversés des chansons / que les enfants chantent // lorsqu’ils sont heureux ».
Murielle Compère-Demarcy
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