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Griffes 17 (par Alain Faurieux)

Ecrit par Alain Faurieux le 17.02.25 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Griffes 17 (par Alain Faurieux)

 

Ce que je cherche, Jordan Bardella, Fayard, novembre 2024, 324 pages, 22,90 €

Un livre rassurant, normal. Qu’il ne contienne pas la réponse au titre, qu’il ne contienne rien en fait n’est absolument pas grave. La couverture est belle, l’intention noble. L’attrait du vide, l’attrait du regard en arrière. L’auteur nous propose donc un petit livre tout à fait dans l’air du temps. Reste à s’interroger sur la qualité de l’air. Quelque chose de particulier ? Non. Un petit volume à la fois creux et lisse (si, si, c’est possible). Un livre bien conçu, peu importe que Jordan Bardella l’ai écrit seul ou pas, se demande-t-on si Musso écrit 100% de ses livres ? L’objet est bien pensé et bien construit : les va-et-vient temporels créent des liens de causalité là où la chronologie les réfute et permettent un flou narratif sur les étapes de la carrière politique de l’auteur. Un premier tiers de type journal (très poussif) sur les premiers mois de 2024. Censé être quelque chose comme l’irrésistible marche vers la victoire.

En vérité on s’ennuie un peu. Puis, enfin, une petite présentation de Jordan, l’homme et sa famille. Dans cet ordre. Ce qui frappe c’est la distance, le manque d’empathie (parle-t-on d’empathie avec ses parents ?) ; les rapports sont toujours évoqués dans un sens : la réaction de maman à mon BAC, la réaction de maman à ma première affiche, la réaction… Suivent des pages où alternent des scènes de découverte des grands du monde politique (Macron, Borne), d’allégeance à Marine, d’anecdotes de cités. Pour finir en un tour de piste de remerciements. L’écriture ? Rien à dire, c’est propre, lisible par tous les publics. Bardella (l’équipe de Bardella ?) prend grand soin de parsemer le livre de références culturelles Françaises, et quelquefois (ouf !) cela m’a fait sourire :

« Nous constations le vide laissé par une société qui ne croit en rien, atomisée par le gauchisme culturel, la mondialisation dérégulée et l’immigration massive. Nous avions soif de sens et de valeurs. Nos tables de chevet se ressemblaient : Michel Houellebecq, Jean-Claude Michéa, Patrick Buisson, Laurent Obertone, Éric Zemmour, mais aussi Christophe Guilluy, Michel Onfray ou Régis Debray. Le théoricien du grand remplacement Renaud Camus pour les plus fougueux, Albert Camus pour les autres, dont me reviennent les mots du discours de Stockholm pour la réception de son Prix Nobel en 1957 : “Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse”. Ces auteurs nourrissent nos discussions enflammées. Ils forgent nos convictions et structurent nos esprits politisés ». Mention spéciale à l’adjectif « fougueux ».

Lorsqu’il se trouve en Corse, Jordan lit le Napoléon de Max Gallo. Comme une évidence. Comment ne pas sourire lorsqu’il mentionne sa première année d’études supérieures, sachant qu’elle fut la seule, et incomplète. Bardella est jeune, il insiste sur ce point très (très) souvent, mais comment le croire lorsqu’il nous confie sa playlist : « Dans mon application de streaming, le répertoire a été alimenté ces dernières années au cours de soirées passées ensemble à chanter à tue-tête. Au côté de Charles Aznavour, Michel Sardou, Dalida ou Julio Iglesias se trouve le catalogue d’Alain Barrière, originaire, comme la famille Le Pen, de La Trinité-sur-Mer. Avec Ma Vie ou Tu t’en vas, la Bretagne n’est jamais loin ».

J’avoue, je suis de mauvaise foi, ce n’est pas SA playlist, mais celle des moments Marine. Bien sûr l’accent est mis sur nos belles campagnes et nos agriculteurs, sur la figure totémique du Général, Malraux n’est pas oublié. Pas plus que les épouvantails fossoyeurs de la France, de Mélenchon à l’abominable journal d’extrême-gauche Libération. Les meilleurs moments ? Déjà lus dans la presse, quand Jordan fait sa bitch contre Quotidien (au moins on savoure l’anecdote). On découvre Jordan défenseur des juifs de France, d’Israël, fervent opposant de la politique expansionniste de Poutine (il précise que la totalité du prêt associé à la Russie a été remboursée – qui a financé l’opération n’est pas mentionné). On retrouve bien sûr les tics du RN : des associations de mots remplaçant des blocs entiers de raisonnement, des glissements sémantiques, des listes marquées au coin du bon sens permettant d’attribuer la même valeur à des notions antinomiques. « Loin des grands idéologues qui professent des lectures simplistes du monde, je revendique un certain bon sens ». Jolie double torsion. Un livre politique à la première personne qui arrive à ne rien dire de son auteur et à ne pas présenter d’objectifs, de programme, de moyens ou d’outils. Mission accomplie. Le produit est conforme. Le produit est-il le livre ou l’homme ?

 

Mon Mari, Maud Ventura, Gallimard Poche, Coll. Proche, 2023, 267 pages, 8,50 €

2021, premier roman. J’ai attrapé Mon Mari en rayon (traduit internationalement, grosses ventes) parce que Célèbre, de la même auteure, était épuisé. Enfin un roman honnête, le produit clairement exposé, net carré. Tout d’abord l’idée, à mi-chemin entre Trad Wife et amours vintage. Un regard sur notre société schizophrène. Très bonne idée. On imagine la préparation, feuilles A3 collées sur le mur (soigneusement), une pour chaque jour de la semaine. Et puis associer une couleur à chaque jour (c’est original – ça surprendra la lectrice, supposons un lectorat féminin). Ensuite noter trois-quatre anecdotes par jour illustrant le fonctionnement amoureux extrême du personnage principal. Prof ? Un peu bas de gamme, elle sera à mi-temps, ce qui lui permettra d’être aussi traductrice (elle traduira aussi en cours d’ailleurs…). Envisager une gradation dans les anecdotes, montrer que tout n’est pas si simple (ça c’est difficile pour une semaine censée être comme les autres). Bon, pas de nom pour elle, ou le mari, ou les enfants. Le mari va travailler dans la finance, ça ne veut rien dire mais ça permettra un niveau de vie plus sympa à décrire. Mettre du sexe dans deux (trois ?) colonnes. Trouver une raison pour/contre, la noter. Penser à une surprise finale, très rapide (peu importent les incohérences, l’important c’est ce petit coup au cœur de la lectrice devant tant de machiavélisme). La noter à la fin, en rouge. Et voilà (en français dans le texte). Réfléchir à la place de l’humour, penser à l’ironie. Du second degré ? Non, pas de second degré. Il n’y a plus qu’à écrire. Maud travaille dur, mais il faut reconnaître que le style monologue/journal intime appuyé par le découpage en journées aide bien. Le public pourra se réjouir de lire sans difficultés, c’est fluide, ordinaire. On finit par une couverture vintage et on demande comme d’hab’ à quelqu’un de l’écurie de se fendre de quelques mots. Dès le bandeau et le blurb de félicitations d’Amélie Nothomb j’aurais dû me méfier…

Mon passage préféré ? C’est, une fois le roman fini, la page suivante. A tort ou à raison j’y vois enfin l’ironie qui m’a manqué tout au long du volume :

Références :

« Le personnage principal relit L’Amant de Marguerite Duras. Elle cite aussi les Pensées de Pascal, qu’elle a étudié en terminale, et se prend pour Phèdre, l’héroïne de Racine (on note ici un réel penchant pour la pensée du XVIIe siècle).

Dans sa voiture, elle écoute le dernier album de Ben Mazué, Paradis – chanteur dont elle s’imagine aisément qu’elle aurait pu tomber amoureuse, dans une autre vie. Dans la boîte à gants, l’album de Supertramp de 1982, Famous Last Words, qui contient le titre Don’t leave me now. Elle chante à sa fille Sunny de Bobby Hebb, et elle écoute en boucle Véronique Sanson depuis des années, en particulier la chanson Amoureuse.

Dans le salon, son mari écoute Loving is easy, de Rex Orange County. Sa chanson préférée est Day by Day, chantée par Frank Sinatra. Côté musique classique, il ne jure que par Mozart. C’est donc bien la Symphonie n°40 en sol mineur qu’il met sur les enceintes du salon samedi soir.

Le film préféré de la narratrice est Vacances romaines de William Wyler avec Audrey Hepburn. Nicole Kidman et Grace Kelly font également leur apparition dans le livre. Elle s’inspire du philosophe et juriste italien Beccaria et de son ouvrage de 1764, Des délits et des peines – texte fondateur du droit pénal moderne – pour son cahier de punitions. Enfin, on peut imaginer qu’elle est en train de traduire Conversations entre amis pour les Éditions de l’Olivier, le premier roman de l’autrice irlandaise Sally Rooney ».

 

Célèbre, Maud Ventura, éd. de L’Iconoclaste, août 2024, 540 pages, 21,90 €

Une surprise. Tout ce qui m’avait manqué dans Mon Mari est là. Et pourtant l’ouvrage commence par une dédicace à… mon mari. Et c’est peut-être là l’indication du grand changement. Humour, ironie, piques acerbes et second degré. Pour décrire à la première personne le trajet de cette célébrité qui emprunte à beaucoup, Ventura s’est sans aucun doute solidement renseignée. Mais peu importe si la description du milieu sonne juste, ce n’est pas ce qui l’emporte. Le rythme est impitoyable : on grimpe, on grimpe (et on ne se rend compte que très lentement du biais de narration). Le style est un mélange de success-story, de monologue et de post d’influenceuse. C’est un très beau fake. La seule chose qui a gâché mon plaisir (un vrai plaisir de lecture), ce sont les dernières pages. Je ne peux vous dire pourquoi sans trahir le reste de l’ouvrage.

 

Alain Faurieux



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A propos du rédacteur

Alain Faurieux

 

Alain Faurieux, fanatique de S.F. et adepte du polar. Maniaque de musique (genre « insupportable » pour ceux qui le fréquentent encore), anciennement enseignant d’anglais.