Griffes 16 (par Alain Faurieux)
Les Hommes manquent de courage, Mathieu Palain, L’Iconoclaste, août 2024, 289 pages, 20,90 €
Difficile de parler de ce livre. Tout d’abord rester sur les faits, le solide. Le fiable. L’écriture. Une sorte de reportage de Détective écrit à la première personne. Je sais, pas de première personne dans Détective ; et je ne sais même pas (la flemme de vérifier) si le magazine Détective existe encore. Des extraits de vie, avec des personnages vrais. Du sensationnalisme, du choquant pour la France profonde. Du viol, de la soumission, de la double vie. Des choses qu’on ne voit pas souvent mais avec les mots de tous les jours. Plus une construction en vignettes, des blocs mal rattachés ou pas attachés du tout. Une temporalité élastique, et des flashbacks. Ensuite ce n’est pas si simple, parce que cette première personne, c’est l’auteur (sans E) qui parle pour/au nom d’une femme qui s’est confiée à lui. Et on se demande où est l’artifice ? Un seul ? Plusieurs ? Cette femme (si elle existe) s’est-elle confiée ainsi à son fils ? Son parcours social (des détails ont été changés pour protéger… etc.) est-il bien celui-ci, si « pratique » de bien des manières ?
Le malaise s’installe. A tant mettre en avant le « réel » notre auteur ne crée-t-il pas uniquement un effet de réel ? On s’éloigne alors encore plus du livre, on se pose la question de son message, ce que nous dit Palain. Gouffre noir, interrogation. « Les hommes manquent de courage ». Grande déclaration d’intention de l’auteur. Coup de poing sur la table. Je relis le livre (vite fait). Le personnage masculin qui manque le plus de courage mérite peu le nom d’homme. 15 ans, pas encore 16 (?) à la fin (?) du livre. Mais cela doit suffire à l’inclure dans le genre maudit. Les autres hommes sont… inconsistants, ils ne font que passer dans la vie du personnage principal. Qui, elle par contre, a de la consistance. Même si, désolé Mathieu, on n’y croit pas trop à cette prof de maths Escort le soir, 1000 balles avant effondrement du marché. Ou dans la domination pour on ne sait pas quoi, puisqu’elle (lui ?) nous dit que ce n’est pas pour l’argent. Et que visiblement, textuellement, ce n’est pas franchement pour le plaisir. Elle s’est aussi (on a une ignoble envie de dire bien sûr) fait violer au début de sa vie de femme, avant de tomber/glisser dans une débauche ennuyeuse au possible. Mais ça ne compte pas puisqu’elle confie ensuite à son fils avoir eu 22 ans pour son premier (vrai ?) copain. Les années suivantes, avant les massages complets et la domination (avec caca), elle procède du même « si vous voulez ». Revenons au cœur du roman/témoignage : elle se confie à son fils sur une route (presque) déserte. Et on se demande pourquoi, quel va être l’effet du monologue, à qui cela est censé profiter, (le prétexte étant fortement pourri : il a violé sa propre copine), et il apprend en plus être né en « remplacement » du frère décédé de la daronne :
« Il était sensible, cultivé, intelligent, brillant même, mais pas scolaire pour un sou. L’inverse de moi qui étais première en tout parce que j’avais compris qu’il suffisait d’apprendre par cœur. À l’adolescence, Benoit a eu très mal au ventre. On pensait que c’était la poussée de croissance. On se disait : Il a grandi trop vite, mais je crois que c’était l’école, il était terrorisé à l’idée d’y retourner. Son truc à lui, c’était la lecture. Beaucoup de science-fiction. Il avait avalé tout Bernard Werber avant de s’attaquer à Barjavel, Damasio, des trucs plus costauds ».
Je vous rassure, la lecture ne l’a pas tué. Mais Werber quand même… Et puis on rentre à la maison, et puis on va au lit, le temps, les mois, passent, et puis c’est la fin du livre. Et puis je ne sais sans doute pas lire. Pas de spoiler. J’ai dû mal comprendre. J’ai lu ce livre pour de mauvaises raisons : auteur aperçu sur le plateau de Quotidien, parlant d’un livre précédent sur les violences faites aux femmes, et aussi-un peu-du tout dernier. Une présence étrange, un regret d’être au monde, une sorte d’autoflagellation. Le dépit de ne jamais pouvoir expier. Et un langage absolument lisse, un sens préfabriqué. Cela m’a intrigué : j’ai lu son livre, l’ai trouvé pas très bien écrit ; et j’y ai vu, non pas un portrait de courage et une figure féministe (pitch marketing), mais une victime. Ou pire, un livre fabriqué pour la cause. Mais laquelle ?
Et ils vécurent heureux malgré tous leurs enfants, Raphaëlle Giordano, éditions Récamier, octobre 2024, 336 pages, 20,90 €
Il m’a fallu un petit moment pour écrire ce que je pense de ce livre : le fou rire c’est compliqué. Non, en fait je ne ris pas. Première page, un recul. Non ! Ce n’est pas vrai, pas possible. Page tournée : Ouf ! c’était un cauchemar ! Page suivante, dans le livre on se réveille mais pour le lecteur le cauchemar continue. Lu en raison de mon exploration masochiste des meilleures ventes. Un livre sur l’au-delà : au-delà des clichés, des poncifs, au-delà de l’écriture automatique (comme dans caisse automatique). L’idée est bonne (après une choucroute et trop de Riesling). Une chaîne de TV met en place une nouvelle émission de télé-réalité axée sur les darons et daronnes. Mot qui sera ensuite utilisé 3423 fois dans l’ouvrage. Nous suivrons donc Andréa dans les pièges que va semer l’amour entre le hall et la piscine (trop hot) du château des darons. En passant par la cabane DH Lawrence (Je n’invente rien). Situations ridicules, personnages aussi. Mais tout sonne tellement vrai ! L’auteure croit-elle avoir mis de l’ironie dans son livre ? Ce doit être involontaire.
En fin de livre il y a même des témoignages, des vrais, sur les difficultés d’être parents. Et son éditeur utilise les mots « charge mentale ». Et on parle aussi des problèmes d’ados. Et il y a plein de mots qui font jeune (Cf. Ironie). L’écriture quant à elle n’est pas quelconque, elle est pire.
Monique s’évade, Edouard Louis/L’effondrement, Edouard Louis, Le Seuil, avril 2024, 180 pages, 18 € / octobre 2024, 240 pages, 20 €
Un twofer disent nos amis anglais. Plusieurs sens possibles : profiter de deux services ou acheter deux produits pour le prix d’un. Plus récemment assortir une tenue. Ou encore (serait-ce là le cas d’Emile Louis) consacrer à peine plus d’efforts à la réalisation de deux tâches que pour une seule. Deux livres dans l’année c’est possible quand les deux additionnés font la taille d’un court roman. Édouard Louis fait l’Auteur, fabrique son existence d’auteur, s’autojustifie.
Livre premier :
J’ai lu Monique s’évade après de nombreuses interviews où l’Auteur commentait son œuvre, répondait à des questions très profondes sur son rôle dans la Littérature Française, ou situait MS dans un cycle familial, et ainsi de suite. Presque autant de mots, bien plus intéressant. J’ai lu MS et je me suis ennuyé sérieusement. Pas longtemps. Vers la fin Édouard prend même la précaution de nous dire que pour écrire ça il a mis de côté l’écriture du livre sur son frère mort. Qui paraîtra juste ensuite… donc, Édouard nous raconte encore une fois sa famille, la violence systémique, tout ça tout ça. Et je m’en fous, pas à cause du sujet, mais à cause de l’écriture d’Edouard. Technique remarquable numero Uno : des retours à la ligne suivis de petites colonnes d’infinitifs ou de propositions infinitives. Et puis un travail (c’est lui qui utilise le mot) sur la ponctuation. Et puis un travail sur la distance auteur/narrateur/personnages, ou récit/conversations/écriture. Un travail sur la fabrique du livre. Et je dois dire que ça m’intéresse autant que Les Choses de la vie de Claude Sautet. Le travail de l’écrivain peut être d’épuiser la forme jusqu’à ce qu’elle épouse la fin de « quelque chose », un monde, un amour, une haine. Louis n’épuise rien, il grise des pages d’une prose sans intérêt. Rien sous la surface, rien sous le tapis, rien à se mettre sous la dent. Je suis désolé pour lui, mais j’ai même passé un (petit) tiers du livre à vouloir croire que sa mère allait mourir. Tout nous y conduisait, le va-et-vient électronique entre Athènes et Paris, lui et elle, un compte à rebours non avoué, des repères temporels à outrance. Le suspense des retrouvailles vouées à l’échec, la tragédie du sauvetage mis en échec. Et puis non. Retour au gris du vrai, du transfuge de classe qui se retourne sur son parcours, et son parcours à elle, et ainsi de suite.
Livre Deuxième :
Bon, une petite heure de plus pour s’effondrer. J’ai mieux supporté que Monique s’évade, sans doute parce qu’un mort ça fait plus sérieux. Après la famille, lui-même, sa sœur, sa maman, Édouard s’attaque au masque funéraire de son grand frère. Autodestructeur, alcoolique, raciste violent et homophobe. Mort à trente-huit ans, ce qui permet à Édouard, sous couvert de « Je le haïssais, je le hais », de nous laisser déchiffrer qu’il l’aimait quand même un peu ce frère d’un autre père. Malgré le déterminisme social, le machisme systémique, le gouffre de classe et la Lune des Moissons, très importante dans le Nord. Un chouïa plus long, toujours des jeux de mise en page, des renvois sans doute censés montrer une indécision primordiale, voire primaire. Et des répétitions fortes en sens (« je ne sais pas »). Et des italiques. Et une recherche de la vérité de ce frère perdu de vue. On est plus dans Jean-Pierre Foucault que Michel Foucault, pourtant cité. Parce que Louis cite des Auteurs, pour bien montrer que lui il est parti du pays des corons où on fête Noël à la bière (je lis encore une fois les mots Jamaica kincaid et je meurs). Le point fort du roman c’est sans doute de se présenter comme l’ultime maillon de la family-fiction. Parce que comment prendre au sérieux un ouvrage où l’on peut lire ce qui suit, sans la moindre trace d’ironie :
« 3 : Dans une large partie de la classe ouvrière les blessures psychologiques n’existent pas. Dans l’entourage de mon frère on ne parlait jamais de traumatisme, de mélancolie, de dépression. Il existe au contraire dans les classes plus privilégiées des lieux et des institutions collectives pour évoquer ses blessures : la psychanalyse, la psychologie, l’art, les thérapies collectives. Si mon frère était blessé, il n’avait aucun lieu pour le « dire ».
Édouard Louis en porte-parole des sans voix du Lumpenproletariat ? Non merci, car définitivement il ne parle que de lui, ne pouvant parler d’eux que de l’extérieur. Cette impossibilité aurait pu, chez un écrivain exceptionnel, donner un grand roman. Mettre en abyme écrasements et dépassements. Montrer la grandeur de l’ordinaire, la petitesse de la violence. Louis se contente d’une écriture des réseaux, sans réelles aspérités, sans force. Ou alors je suis totalement dans l’erreur et l’auteur et éditeur proposent le pack parfait pour un petit monde de tourneurs de pages totalement ignorant de la vraie vie, qui vont dévorer ce publi-reportage chez les pauvres. Qui sait ?
Alain Faurieux
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