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Griffes 15 (par Alain Faurieux)

Ecrit par Alain Faurieux le 10.12.24 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Griffes 15 (par Alain Faurieux)

 

Le Club des enfants perdus, Rebecca Lighieri, éd. POL, août 2024, 528 pages, 22 €

D’après une revue fort sérieuse « Le roman de la Génération Z qui fait enrager les réacs ». Passons sur l’expression « faire enrager », gentille niaiserie. Rager, ça, ça aurait eu du punch. Et sur de quelle génération sont les réacs. En fait un roman SUR la génération Z, puisque Lighieri, née en 1966, est une Génération X.

Trois monologues se suivent. Tout d’abord Papa (un X tardif, artiste, infect, ego boursouflé, caricature d’un aveuglement (de genre ? De classe ? De génération ?). Vient ensuite La Fille : ego boursouflé, clamant haut et fort (mais secrètement) sa différence difficilement visible dans une personnalité reproductible à perte de vue. Et on finira par Papa, inchangé.

Gravitent autour de nos deux pôles narratifs Maman (X), artiste vieillissante, ego boursouflé, etc. (mais on l’excuse : ses deux parents boomers-de Neuköln-sont des victimes des drogues), une grosse maîtresse (faut bien combattre la grossophobie) bi (deux bonus en un), un frère schizo, une sœur morte (fruit de l’inceste ou de la schizophrénie) et un amant (Z) sans consistance. Le Club des enfants perdus raconte leur histoire, mais que dit-il ? Notre Gen. Z (les enfants perdus ?) a du mal à respirer dans tous ces problèmes de mer polluée, forêts en perdition et tout et tout. Elle cache à ses parents sa vraie nature et va au bout de son chemin. On dirait une parodie, mais de quoi ? Il y a bien un fouet mais l’auteure l’appelle martinet, et il disparaît. De l’obscénité, pour trois associations finalement bien utiles au service marketing. Bientôt sexagénaire Rebecca veut choquer papa/maman ? Pas franchement de quoi fouetter un chat. Juste mal amené, tristement bâclé. Plaqué sur cette trame un gadget « fantastique » mal fagoté et inutile. L’objet de l’ironie (s’il y en a), de la dénonciation, est insaisissable. L’auteure fustige la génération X ? S’auto-flagelle donc ? Les réacs sont donc de cette génération ? Veut-elle défendre cette génération Z sans repères et si fragile ? Avec le portrait à la fois caricatural et au vitriol qui en est fait c’est mal parti. Chaque lecteur va pouvoir trouver dans ce bortsch exactement ce qu’il veut. L’écriture ? Rien à dire. Rien de particulier, ni dans les dialogues, flashbacks ou apartés. Style ? Rien à dire. C’est facile à lire, léger dans l’ennui. Lighieri (pseudonyme de l’auteure Bayamack-Tam, née Garino) est auteure de Dark Romance. Mais ça, ce n’est pas de la Dark Romance, cela devrait être écrit par Bayamack-Tam, non ?

 

Nous sommes immortelles, Pierre Darkanian, éd. Anne Carrière, août 2024, 492 pages, 22,90 €

Une grosse vente surprise, ça fait un bon livre ?

Une artiste découvre que sa réalité n’est pas si stable que ça et que les femmes sont des sorcières. Si vous pensez que le scénario de Lost est génial ou si vous aimez Le Petit Prince, ce livre est pour vous.

– Oui. Des petits martyrs. De la Commune, de l’Ogresse, de la guerre, du monde moderne…

– Dis-m’en plus !

– Je n’en sais pas plus. Quand Youssef ou les femmes viennent me voir, je les écoute, je ne leur pose pas de question. C’est toi qui pourrais m’en dire plus.

– Comment pourrais-je en savoir plus que toi ?

– Je n’y suis jamais allée.

– Moi non plus… »

Une structure polar (mystère, retours en arrière, va-et-vient, résolution finale). Des éléments fantastiques (hors lieux, corbeaux, monde souterrain, réalités multiples). Ajoutons à cela un zoom (fort mode en 2024) sur un quartier de Paris, la Goutte-d’Or ici. Et un thème ayant nécessité des recherches sérieuses et appliquées (les sorcières). Reprenons : les ficelles du polar sont éculées, le fantastique un pastiche, le quartier superficiel, le thème ruiné par un entassement bienveillant (les ratonnades), les grands écarts (Jeanne d’arc sorcière ?), la thèse tirée par les cheveux (sorcières comme proto-féministes). Rajoutons les lubies du moment, vaguement marinées dans les bruns : la commune de Paris comme moment de gloire sanglante d’abrutis alcooliques, 68 et alentours en terrain de jeux de petits bourgeois inconscients. Et ainsi de suite. « Une étude du radicalisme » a même titré un site fort sérieux.

« Au fond de la cour, Youssef l’attendait, accroupi au-dessus d’une fosse commune.

« C’est là qu’est enterrée la Vierge noire.

– Oui.

– C’était toi ?

– Moi et mille autres.

– Tu peux t’allonger, la terre est douce sous la neige.

– Youssef ?

– Oui ?

– Pourquoi tu pleures ?

– Je ne pleure pas.

– Tu n’as donc rien appris ici ? Pleurer n’est pas une honte.

– Je pleure parce que l’on ne se verra plus.

– On se voit tout à l’heure chez Mme Otoko, le 15 avril 1980, le jour de la mort de Sartre, comme d’habitude. Je te donnerai l’Enfant cette fois ».

Pierre D. réussit l’exploit de vendre en 2024 un livre bourré d’explications maladroites et de dialogues en bois, aux personnages uniquement féminins (Sartre et Foucault apparaissent TikTok-Style), mais toutes présentées comme des espèces d’hystériques engendrées par le patriarcat (dit-il à travers elles). Dangereuses, et plutôt crades. Quelques pages laissent supposer que notre auteur pourrait faire quelque chose de très bien dans le gore. Sans thème ou thèse.

Oh, et il parle AUSSI du réchauffement climatique.

 

Interlude : Entre l’auteur précédent et l’auteur suivant, pourrez-vous trouver qui a écrit quoi ?

A) « Olson aurait peut-être, en plus, participé en 1951 à une pulvérisation de LSD en France, à Pont-Saint-Esprit, dans le Gard. À l’époque, ce village français de 4.500 habitants est subitement pris d’hystérie collective. On appellera ça, l’affaire du “pain maudit”. Le 16 août, une vingtaine de malades viennent consulter les deux médecins du village pour des problèmes digestifs : vomissements, bouffées de chaleur. Les jours suivants, les symptômes s’aggravent. Les villageois sont soudain en proie à des hallucinations terribles. Le village devient l’enfer sur terre. Transportés à l’hôpital, les malades hurlent, gémissent. D’autres, la bave aux lèvres, déambulent dans les rues et délirent : le diable et des monstres sans nom les habitent, les poursuivent. La nuit du 24 août est celle de l’apocalypse. Un homme saute du deuxième étage. Un autre pense avoir mangé des serpents. Un enfant de 11 ans tente d’étrangler sa mère. Il y a en tout sept morts, plusieurs centaines de malades, dont une soixantaine sont internés dans des hôpitaux psychiatriques. On accuse le boulanger, Roch Briand, puisque tous les malades ont mangé du pain acheté chez lui, puis on accuse le meunier et sa farine qui contiendrait de l’ergot de seigle […] ».

B) « C’est une petite commune dans le Gard. Cet été-là, les habitants ont été victimes d’une sorte de folie collective que l’on a mise sur le compte du pain qu’ils avaient mangé. Pendant plusieurs jours, des gens se sont plaint de maux de tête, de douleurs au ventre, de vomissements, d’insomnies. Certains ont passé trois semaines sans parvenir à dormir. Beaucoup se sont mis à avoir des hallucinations horribles. Ça a culminé le soir du 25 août 1951, qu’on a surnommé la nuit de l’apocalypse, lors de laquelle des centaines de villageois se sont mis à danser, à courir, à rire, à pleurer, à hurler de douleur ou d’effroi… ».

 

LSD, La nuit dont je ne suis jamais revenu, Christophe Tison, Goutte D’Or éditions, octobre 2024, 170 pages, 18 €

Lu après un article (Libé je crois) sur les « auteurs de la rentrée à ne pas manquer ». Copinage ? Alcool ? Drogues ? Retour d’ascenseur ? Coucheries ? Vaudou ? Toujours est-il que LSD est ridiculement mauvais. Tout petit, puis deux fois plus petit car composé de deux textes entrelacés. Par chapitres.

Machin un, une présentation du LSD : à mi-chemin entre les regrettés Que-sais-je et la Collection Pour les Nuls (on ne parlera donc pas de style). Arrêt sur des « points forts » choisis on ne sait pourquoi, factuellement léger, narrativement inexistant. Aucun intérêt, sinon peut-être pour un octogénaire de Saint-flognon-les-Avignon qui n’aurait jamais entendu parler du LSD. La couverture est un bon (si l’on peut dire) indicateur du contenu.

Machin deux (l’autre chapitre), à 80% le récit de LA nuit où le petit Tison s’est tapé sa pyramide jaune. La seule et unique, qui va ensuite rejaillir sur le reste de sa vie (20%). En grande partie nous révèle l’auteur, un texte écrit vers la vingtaine. Dommage. Donc Titi prend sa pyramide par amour (pitch éditeur). Titi est en troisième, a une copine (à gros seins) mais voudrait bien coucher avec une vieille de dix ans de plus… c’est l’amour à la plage quoi. Et puis le reste de sa vie c’est foutu à cause des flashbacks de la pyramide. Et même les psy Freudiens, nuls qu’ils sont, n’y pourront rien. Je suis, après lecture, allé voir ce que Chris a commis d’autre. J’ai l’impression qu’il fait un peu (pas mal) carrière de ses addictions diverses, modèle géant. Ça fout un coup à l’idée de la pyramide solitaire qui te fout toute ta vie en l’air. Je me rappelle avoir lu (principalement pour le lien avec la BO. de David Bowie) Moi Christiane F, 13 ans, droguée et prostituée. Même si Christophe affiche 2 ans de plus ans au compteur, il a un avantage, son histoire se passe en 76, avant Christiane. Mais j’ai peur que son histoire vraie ne donne même pas lieu à un film Netflix faisant appel à Zaho de Sagazan. Question de style.

 

Alain Faurieux



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A propos du rédacteur

Alain Faurieux

 

Alain Faurieux, fanatique de S.F. et adepte du polar. Maniaque de musique (genre « insupportable » pour ceux qui le fréquentent encore), anciennement enseignant d’anglais.