Gloria, Pascale Kramer
Gloria, janvier 2013, 154 pages, 17 €
Ecrivain(s): Pascale Kramer Edition: Flammarion
On aimerait multiplier les citations ; ce dont il s’agit se comprendrait sans doute mieux. C’est un roman tout en descriptions minutieuses, délicates, précises ; description des êtres, des choses, des lieux, de l’âme. Au point que les dialogues y semblent presque accessoires – d’ailleurs, ces quelques paroles qu’échangent les personnages ne sont pas typographiquement signalées.
« Ses mains reposaient à plat sur ses genoux tout en os tendus de peau translucide et nue malgré le froid dehors. Un roulement de skateboard s’acharnait à se fracasser sur les mêmes quatre marches du perron. C’est toujours comme ça, du bruit, du bruit, du bruit, se plaignit-elle en agitant sa main en éventail. Les petites billes gris-bleu, au fond des orbites légèrement ombrées, perçaient d’ironie la rondeur de son visage ».
« Ses joues s’étaient colorées, ainsi que les ailes délicates de son nez et le bord transparent de ses paupières où se diluaient de fines veines bleues ».
« Michel sentait l’effleurement rugueux du tulle contre sa main, la proximité affolante de sa douceur. De part et d’autre des bretelles trop longues frissonnaient les menues pastilles de ses tétons. Sa peau était d’un caramel très soyeux et ses jambes graciles articulées de genoux curieusement ronds. Elle avait une petite croûte sur le tibia qu’elle tenta de gratter du bout de ses ongles coloriés aux feutres de toutes les couleurs ».
C’est un roman qui évolue dans deux sens contraires en quelque sorte. Il progresse et remonte en même temps vers le passé. Michel, orthophoniste de profession, reprend contact avec Gloria qu’il a aidée trois ans plus tôt quand il travaillait dans un centre d’accueil. Le lecteur avance dans le récit de ces retrouvailles tout en apprenant peu à peu ce qui s’est passé à l’époque. Gloria, enfant adoptée, atterrit dans le centre d’accueil à Caen, terminus d’une fugue. Malgré ses vingt-cinq ans, elle semble bien immature. « Jeune femme un peu simplette » est-il même dit à son sujet. Elle « vit » avec un homme illettré qui a deux fois son âge. En conflit avec ses parents qui voudraient la faire avorter, Gloria trouve appui et aide auprès de Michel. S’écoulent ensuite trois années sans aucun contact, puis Gloria resurgit dans la vie de Michel. Elle souhaite changer d’appartement, sollicite de nouveau l’aide de Michel. Seulement, celui-ci n’est plus du tout dans la même situation qu’auparavant. Il a eu de graves ennuis. Il lui est même désormais interdit d’être en contact avec Naïs par exemple, la fille de Gloria âgée de trois ans.
Malgré ses réticences et états d’âme, Michel rend visite à Gloria dans l’appartement où elle vit avec son étrange mari et leur fille. Et commence alors, chez lui, Michel, une appréhension que confortent, à chaque visite, de menus faits et gestes de Gloria. La façon dont elle se conduit avec sa fille, le comportement de celle-ci, et puis ces photos de l’enfant que Gloria met en ligne sur un site… L’observation par Michel des faits, gestes et choses communique au lecteur une curiosité tout aussi inquiète. D’autant qu’on ne sait pas clairement si l’accusation contre Michel lui-même d’attouchements sur des fillettes est avérée ou non.
Pascale Kramer réussit dans ce roman quelque chose de surprenant. Gloria paraît tout à la fois immature et… manipulatrice ; Michel semble expier quelque chose sans être peut-être coupable pour autant. Au-delà de ces deux personnages principaux, d’autres, anciens collègues, amis, parents, ex-compagne, sont tout aussi possiblement ceci ou cela, leur vie se révélant soudain, au détour d’une phrase, un peu autre que ce qu’on croyait… Admirable paradoxe d’un roman où la description minutieuse crée une parfaite ambivalence des êtres et des choses.
Théo Ananissoh
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