Georges Brassens, militant anarchiste, Frédéric Bories (par Guy Donikian)
Georges Brassens, militant anarchiste, Frédéric Bories, janvier 2022, 190 pages, 17 €
Chacun ou presque a en tête un vers, voire une strophe d’une chanson de l’enfant de Sète où il vit le jour en 1921. Mais qui sait ce qui est à l’origine des textes de ses chansons, dont on saisit plus ou moins confusément un engagement lié à des convictions dont l’auteur n’use jamais pour une morale quelconque qu’il a toujours réprouvée, même s’il était un admirateur de La Fontaine ?
Frédéric Bories a consacré son ouvrage à retracer dans le détail les années, entre 1946 et 1948, que Brassens a consacrées à l’anarchisme, parce que c’est là, selon l’auteur, que se situent les éléments qui vont conditionner toute son œuvre, et au-delà, sa vie, une après-guerre vécue dans la pauvreté, avec le strict nécessaire matériel pour vivre, pas de superflu donc, mais une avidité intellectuelle qui lui fera dévorer littérature et philosophie.
« Puis j’ai trouvé d’autres philosophies, Proudhon par exemple. Il m’a semblé que je trouvais mieux la vie là-dedans, que je me trouvais moi. Puis j’ai découvert ce que c’est qu’être anarchiste. Se défendre contre tout ce qui endort, tout ce qui est un fauteuil moral (…). Si vous saviez comme c’est bien d’être anarchiste » (Déclaration de Brassens en novembre 1966). Il lira aussi Kropotkine et Bakounine.
Lorsqu’il « monte » à Paris, Brassens est reçu chez sa tante (après une année passée au STO), rue d’Alesia. Les circonstances le conduiront chez Jeanne et Marcel, qui vont l’héberger et dont il dira : « je leur dois tout, à elle et à son mari ». Il va vivre chichement, mais le gîte et le couvert, très souvent frugal, sont assurés, et les lectures et les rencontres vont affermir son anarchisme. Nous sommes en 1946, il ne sait pas encore vers quoi se diriger : « Je ne faisais rien, j’étais disponible pour tout, y compris le pire ». Il veut écrire des poèmes, Jeanne lui offre une guitare, il veut écrire de la musique, mais poèmes et musique devront attendre, Georges-Charles Brassens, comme il veut désormais se faire appeler, a envie d’écrire, et une opportunité va le lui permettre. Il rencontre chez Jeanne et Marcel Planche, Impasse Florimont, un certain Marcel Renot, adhérent au groupe du 15ème arrondissement de Paris de la Fédération Anarchiste. Brassens va l’accompagner souvent et c’est là qu’il va commencer à écrire dans Le Libertaire des articles qui vont affermir son anarchisme individualiste.
D’autres rencontres vont ponctuer cet itinéraire, comme celle d’un certain Armand Robin, un anti-communiste avec qui Brassens va souvent échanger.
De juin 1946 à juin 1947, Brassens va beaucoup écrire dans Le Libertaire. Ses articles vont montrer certaines de ses positions. « Devenu anticlérical militant, il considère toutes les religions et tous les dogmes, quels qu’ils soient, comme nocifs ».
Autre idée développée dans ses articles, son refus de toute autorité, d’où qu’elle vienne, et parallèlement, un antimilitarisme forcené, des thèmes qu’on retrouve dans ses chansons.
Frédéric Bories a mené là une véritable enquête en fouillant dans nombre d’archives pour retrouver les premières traces de ce qui fera de Brassens ce chanteur singulier, puisqu’il n’a pas d’équivalent quant à l’écriture et la musique dont on dit trop peu la richesse. Avant de proposer au public une chanson, Brassens « essayait » plusieurs mélodies pour tester la justesse de celle qui mettra le plus en valeur ses textes.
Le refus de toute violence, de toute autorité, le respect d’autrui, l’amour des mots, sont au cœur de toute son œuvre, et l’accent mis sur l’anarchie individualiste dans cet ouvrage en est le mérite, tant il est vrai que nous sommes aujourd’hui à des années lumière de ce courant de pensée.
Guy Donikian
Frédéric Bories vit à Marseille. Il est enseignant et archiviste au sein du Cira Marseille (Centre International de recherches sur l’anarchisme).
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