Génération H, Alexandre Grondeau (et entretien avec l'auteur)
Génération H, Alexandre Grondeau, éditions La Lune sur le toit, février 2013, 320 pages, 18 €
Rencontre avec Alexandre Grondeau
« Le présent s’enfuit de peur que l’avenir n’arrive jamais »
Génération H.
Paru en 2013, Génération H d’Alexandre Grondeau (éditions La Lune sur le toit) caracole aujourd’hui, 18 mois après sa sortie, à la 14e place des meilleures ventes de la FNAC, tous genres confondus. Une spirale à succès qui souffle haut et fort les vapeurs acides d’une génération désabusée, larguée par ses politiques, mais qui porte encore à bout-de-bras un certain idéal d’exister. Un sacré coup de pub (et de pouce) pour le petit éditeur associatif d’Aix-en-Provence, qui ne manque pas de flair !
De quoi cause alors ce Génération H ? Le livre raconte l’histoire d’une amitié entre Sacha, Johan et leurs amis appartenant à une certaine jeunesse française des années 1990-2000. Dans leur quête de liberté, ils ont choisi de vivre en mode nomade, en road trip décalé, musical, syncopé, contrapunctique… et « haschisché » ! Guidés par les volutes de fumées, les musiques ne cessent d’accompagner leurs âmes, leurs corps dans l’univers de ces nouveaux espaces de libertés éphémères et infinies que sont les free parties…
« Les vies se croisent, les destins se séparent, les affinités d’un moment disparaissent comme se gravent les souvenirs dans mon cœur ». L’auteur nous fait découvrir une époque de liberté, de musique, de sexe, de plaisirs, de fêtes pour qui sait s’extraire à un monde standardisé qui enracine chaque être humain dans le terreau aseptisé et normatif de l’existence « en groupe ».
« A quoi bon se différencier de la plus grande masse des gens si c’est pour finir comme le dernier des abrutis à hésiter entre un ami et une maîtresse ? ».
Dans Génération H, les mots sonnent juste et clair, incitent le citoyen à s’interroger : « Le haschisch fait peur au pouvoir, c’est une évidence. Mais ce n’est pas son usage récréatif qui inquiète les autorités, il n’y a que des fous rires adolescents ou des soirées entre potes passées à se délasser dans l’anonymat de la nuit. Il a toute raison en revanche de craindre sa dimension spirituelle et méditative, sa capacité à permettre la découverte et l’exploration des sens ». Voilà qui est posé…
Alexandre Grondeau réussit, par son authenticité, son style tranchant et direct à nous plonger au cœur d’un roman attachant, décrivant à merveille les étranges déclinaisons des plaisirs cannabiques, aux plaisirs pénétrant des poussières d’étoiles, jusqu’à la chaleur moite du sexe, aux gémissements des rayons du soleil parcourant frénétiquement les chemins de la voie lactée ; un paradis qui n’a rien d’artificiel.
Un feu de désir et de liberté qui brûle tout sur son passage :
« L’amour est une drogue trop violente pour un garçon de dix-sept ans.
Je voulais tout prendre, ici et maintenant ».
Le Mot et la Chose a demandé à l’auteur de dérouler l’écriture de son ouvrage, histoire de respirer les fumeroles vertes de sa pensée, et de rejoindre l’évolution de ce que l’on peut appeler la « prohibition du cannabis ».
Le Mot et la Chose : Pourquoi avoir écrit ce livre, Génération H ?
Alexandre Grondeau : La plupart du temps, quand on veut lire des romans traitant de la contre-culture, il faut s’intéresser à des auteurs anglo-saxons. La France possède pourtant des milieux alternatifs et undergrounds très dynamiques et, comme je les connaissais bien, j’ai souhaité en parler à travers un road trip musical, haschisché et déjanté. Je souhaitais aborder une époque un peu folle, dont personne ne parle, et les gens qui ont participé aux premiers Sound systems, festivals de reggae et autres teknivals. Nous avions dix-sept ans et nous prenions la route avide de découvertes, de rencontres et d’aventures…
MC : Vous parlez beaucoup de musique, vous y laissez d’ailleurs une playlist de connaisseur à la fin de l’ouvrage. Vous liez deux espaces comme vecteurs de l’imaginaire, le trip et la musique : « Ce n’est pas le cannabis que l’état devrait interdire, mais la musique de merde ! » Quelle serait pour vous la bonne approche pour que le vivre ensemble soit vécu par tous comme une fraternité, et non comme une confrontation ?
AG : Le bon vivre ensemble passe par le respect de chacun dans ses modes de vie et de pensée, quels qu’ils soient, dans la mesure où les individus n’empiètent pas sur la liberté de leurs concitoyens. Il faut accepter l’altérité sans la stigmatiser aujourd’hui, comme c’est le cas de la « génération h » qu’on présente souvent comme amorphe et assistée, alors qu’elle est créative, motivée et toujours curieuse ! Vivre ensemble, c’est accepter l’autre et ne pas constamment lui interdire d’exister comme il l’entend.
MC : Vous faites dire à Aurélie, dans l’ouvrage, qu’il existe deux types de livres sur les drogues : « ceux qui donnent envie de découvrir les ressorts de ton âme, te poussent inextricablement à te dépasser, et ceux qui te blasent de ces expériences à cause de considérations morales, religieuses, et de la peur de découvrir qu’un ailleurs, un autre part, existe ». Avez-vous pensé écrire une suite ?
AG : Oui, j’ai pensé à une suite puisque Génération H est une trilogie qui va permettre de suivre l’évolution de cette bande de potes qui brûlent leur vie comme un bon spliff de weed ! Nous allons donc les retrouver dès l’année prochaine dans de nouvelles aventures musicales, déjantées, existentielles et enfumées. Il s’agira d’autres décors, d’une autre période de leur vie où ils continuent de faire les 400 coups. Ils ne se sont pas calmés, je vous rassure… ou vous inquiète… (sourire)
MC : Le quotidien américain The New York Times a publié, fin juillet 2014, un éditorial qui demande la légalisation du cannabis aux Etats-Unis. Le magazine affirme que l’addiction et la dépendance au cannabis sont des « problèmes relativement mineurs », en particulier par rapport à l’alcool et au tabac. Qu’en pensez-vous ?
AG : Je pense que le New York Times est un journal sérieux qui ne s’amuse pas à dire n’importe quoi pour faire plaisir à son lectorat fumeur de joints. Le débat sur la légalisation doit être dédramatisé et séparé de toute posture morale ou caricaturale. Je trouve cette démarche responsable.
MC : C’est le public auquel il s’adresse qui a fait de Génération H un phénomène dans le milieu très consensuel et « traditionnel » du livre. En cette rentrée, les chiffres font un peu figure d’uppercut ! Vous attendiez-vous à ce succès et quelles sont déjà les réflexions les plus marquantes, les plus inattendues dont vous ont fait part vos lecteurs ?
AG : Je ne m’attendais pas du tout à un tel succès, qui prouve que la littérature de salon germanopratine n’a pas le monopole des lecteurs ! Vu l’autocensure de notre époque et le renouveau des postures réactionnaires les plus abjectes, j’ai voulu rentrer par effraction dans le monde littéraire en parlant de gens, de lieux, de situations qui n’apparaissent jamais, ou si peu, dans les livres qui font les différentes rentrées littéraires. Le résultat est très gratifiant. Je reçois tous les jours des emails de lecteurs qui me remercient de parler d’eux et de leur avoir donné le goût de la lecture. Le commentaire le plus étonnant qu’on m’ait fait vient d’une lectrice. A un Salon du livre, elle m’a demandé comment je pouvais dédicacer le livre alors que l’auteur était mort ?! Je lui ai annoncé la bonne nouvelle (je suis bel et bien vivant !), mais elle a mis quelques instants à me croire… Les rumeurs ont la peau dure. Je suis aussi très touché par des messages de personnes qui n’avaient jamais lu de livres et que mon roman a réconciliées avec la lecture. Tout comme le fait que des enseignants de lycées se servent de Génération H pour amener leurs élèves à aimer lire. Imaginez ma tête quand j’ai appris qu’un prof de français avait mis mon roman au programme des textes étudiés cette année…
MC : Comment ce livre est-il devenu un festival de musique tout juste un an après sa sortie ?
AG : Génération H est un projet littéraire qui a un pendant musical, puisque j’ai produit avec le livre une compilation qu’on offre avec le roman. Certains titres ont très bien marché, et quand le CSA a commencé à nous poser des problèmes (il a envoyé un rappel à l’ordre à France-Info après une de mes interviews), le soutien des artistes a été incroyable. Deux organisateurs de festivals nous ont alors proposé de dédier chacun une journée et une nuit au livre en me donnant carte blanche pour la programmation musicale. Ces deux moments ont été exceptionnels ! Jamais je n’aurais pensé qu’écrire un livre m’amènerait à saluer sur scène des milliers de personnes venues nous soutenir C’est une aventure folle dans laquelle je me suis lancé avec enthousiasme. Voir un roman qui parle de Sound system, de free parties et de festival, en devenir un pour de vrai, c’est un superbe pied-de-nez à tous les censeurs de France !
Article et entretien réalisés par Marc Michiels pour Le Mot et la Chose
https://twitter.com/lemotlachose
https://www.facebook.com/lemotetlachose.blog.lemonde
Alexandre Grondeau est né en 1978. A la fin des années 1990, il devient critique musical et écrit pour différents magazines en France, aux Etats-Unis, et au Japon. Influencé par des auteurs comme Georges Orwell, Louis Ferdinand Céline, José Saramago, Isaac Asimov, Albert Camus ou encore Jack Kerouac, Grondeau continue d’écrire quotidiennement, en parallèle de ses recherches universitaires qui le font voyager aux Etats-Unis et en Inde. Son premier roman, Pangée, sort aux éditions La Lune sur le toit en 2012.
- Vu : 3660