Génération deux mille quoi, Matthias Vincenot
Génération deux mille quoi, éd. Fortuna, avril 2015, 60 pages, 9,90 €
Ecrivain(s): Matthias VincenotOn fait ce qu’on peut de nos rêves /, écrit le poète Matthias Vincenot, À l’orée de l’habitude / Et des petits dégâts. Oui la Génération deux mille quoi, celle des enfants nés dans les années 80, est bien celle que nous retrouvons dans ce beau et délicat recueil « générationnel » signé par celui qui par ailleurs préside Poésie et Chanson en Sorbonne depuis 2005.
Ce corpus poétique rassemble ce qu’il reste et vit toujours dans le cœur et l’esprit de cette génération des années 2000, souvenirs d’une nostalgie bienveillante qui ne garde que les meilleurs moments d’une époque.
La génération deux-mille quoi
C’est peut-être un nom maladroit
Mais sans doute, ça correspond
À notre cul entre deux crises
Dans la volonté du possible
L’idéal du bout de la rue (…)
Même si la lucidité veille – même si la lucidité parfois « est une tragédie » –, le poète poursuit son chemin sans rien concéder ni à l’aigreur, ni à la morosité, encore moins à la haine (des autres, de l’étranger, …), pour notre plus grand bonheur, pour nous donner « un peu d’air »…
Du ressenti quotidien face aux injustices, face à la bêtise, à la violence, à la Liberté bafouée (bel et touchant hommage, p.7, dans un poème intitulé Être libre, dénonçant l’immonde / Et la bête proche, qui arme les fusils / Contre ceux qui la subissent, qui la dénoncent / Et qui sont Charlie) – de ce ressenti journalier Matthias Vincenot, le troubadour le poète, constate juste le vide de l’air et, sans baisser la garde, sans céder la place, s’arme d’une nostalgie délicate, de la discrétion maladroite pour FAIRE FACEet répliquer par le plus bel argument pacifique et magnanime qui demeure en ce monde accessible, palpable et non encore taxé : les mots de la poésie.
Ce soir-là j’avais peut-être
Forcé sur la grenadine
On me parlait social-traîtres
Nabila, sex-machines
C’étaient des bulles ou des billes
Juste le vide de l’air
Si ça fait lever les filles
Et les apprentis rêveurs
Où sont-ils, les mutants ?
(…)
Un jour si je leur ressemble
C’est que, le cœur sur la paille
J’aurais laissé la grisaille
Approcher la moisissure
La singularité de ce délicieux recueil constitué de 32 textes provient de la singularité de son sujet (la reconstitution chantée en poésie des préoccupations et du quotidien d’une période, celle des adolescents qui avaient 20 ans dans les années 2000) et de la singularité du style de Matthias.
Une lucidité, quelques messages politiques, un esprit de révolte qui ne baisse pas la garde, la nostalgie d’un état d’esprit fédérateur qui cimentait hier le lien social et façonnait des repères de solidarité, NOS repères… parcourent ces errements de cœur qui sont aussi serrements de cœur et qui font du bien, Au train où vont les choses… Avec ces touches d’humour discrètes et ces effluves d’amour pudiques qui tisonnent un lyrisme tout en délicatesse et dessinent en filigrane le sourire d’un poète vivant du côté de la nostalgie heureuse. Andrée Chédid qualifiait ainsi de limpide et profonde l’écriture de Matthias Vincenot. À l’image de ces soirées que le poète organise à Paris-Sorbonne en l’honneur de la Chanson et de la Poésie. Oui Matthias Vincenot pourrait réconcilier, comme l’affirme François-Xavier Maigre dans LaCroix, le grand public avec la poésie, et le texte Chanteur à message pourrait figurer une passerelle entre le poème-chanson et un public rassemblé autour de ces chants poétiques, rythmés, mélodieux, rimés et fédérateurs. Objectif non visé mais atteint !
Chanteur à message
Il ne vous avouera jamais
Qu’il lui est arrivé, déjà
De se sentir un peu troublé
Par Les lacs du Connemara
Ni qu’à l’école, en petit fou
Dans les couloirs, pour s’amuser
Il entonnait Le big Bisou
Lui c’est plus sérieux, c’est plus sage
C’est un chanteur à message
De même qu’il ne dira passerelle
Qu’à l’un de ses premiers émois
Il fredonnait L’avventura
Et quand il repasse, aujourd’hui
Près de chez elle, par hasard
De la buée dans le regard
Lui revient Capri, c’est fini
Il emploie un autre langage
Lui, c’est un chanteur à message
Il ne vous dira pas non plus
Qu’il a dansé La lambada
Et fait La danse des canards
La chenille qui redémarre
Sans révéler, non plus, je pense
Que dans la Saga Africa
C’était lui qui menait la danse
Lui, c’est le texte sans trucage
C’est un chanteur à message
Et si l’on parle d’aujourd’hui
Il cachera soigneusement
Qu’aux concerts de Florent Pagny
Il est toujours aux premiers rangs
Qu’il aime Zaz, évidemment
Que Maé, Miro et Fiori
N’ont plus aucun secret pour lui
S’il dit tout ça, c’est le chômage
Adieu, le chanteur à message
On se sent co-voyageurs de chansons en parcourant ce recueil générationnel où l’emploi du pronom « On » nous rassemble et des pronoms possessifs soudent « nos » souvenirs, « nos » mêmes désirs. On se sent co-voyageurs de poésies-chansons, arrachées au temps de l’air du temps que nous continuons de respirer, toute une génération encore sur la scène, notre scène, Avant les scènes / De nos comédiesinhumaines.
Matthias Vincenot nous offre dans ce corpus 32 poèmes-chansons aux vers libres, aux rimes fluides, au rythme musical (la césure de la virgule est comme un chant intérieur, une résonance / une rayonnance musicale interne au vers).
On fredonnera encore les notes de ces rimes et les rimes de ces notes posées joliment et doucement dans ce recueil en hommage à la Génération deux mille quoi, comme le parfum de chansons inoubliées,Comme un parfum volatile, les fragrances de strophes et de couplets & refrains denses et légers, le concentré d’une époque inoubliée – effluves précieuses dans le paysage artistique de notre patrimoine culturel et de cœur. Une humanité à rejoindre, « Un amour qui dure »…
Murielle Compère-Demarcy
N.B. : Les caractères en italique dans le corps du texte, la note critique, sont des extraits du recueil.
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