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Garonne in absentia, Jean-Michel Devésa (par Théo Ananissoh)

Ecrit par Theo Ananissoh 15.12.21 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions

Garonne in absentia, Éditions Mollat, octobre 2021, 160 pages, 18 €

Ecrivain(s): Jean-Michel Devésa

Garonne in absentia, Jean-Michel Devésa (par Théo Ananissoh)

 

 

Mathilde et Jean se rencontrent passé la trentaine. Ce sont de ces personnes qui font de longues études supérieures et qui n’en sortent pas. Elle est psychologue et lui professeur à l’université. Ils achètent une grande demeure qui nécessite des travaux coûteux et du temps. Ils vont y vivre une vingtaine d’années. D’abord le bonheur (la première moitié) puis le délitement inexorable de leur vie en commun. Histoire classique a priori, comme en écho au style du château Labrune, en bordure de la Garonne, où cela se passe. Mais comme dans ses deux beaux précédents romans – Bordeaux la mémoire des pierres et Une fille d’Alger –, Jean-Michel Devésa élabore un récit original et prenant grâce à une écriture minutieusement ouvragée et un art maîtrisé de la description des choses et des sentiments.

« Et parce que la vie ressemble moins à un roman qu’à un charivari, en un domaine de Labrune aux allures de folie, moins maison d’agrément et palais des plaisirs que bordel pour l’intelligence et la conscience réunies, là où la disparue a laissé derrière elle ses effets et des souvenirs, de pauvres reliefs de sa présence dans la demeure et dans la mémoire en fer-blanc d’un homme qui, depuis ce jour maudit, ne s’est plus rasé et se lave peu, se faufilant de pièce en pièce pour mieux se retrancher dans la mélancolie de ce qui leur a servi de chambre, comme un vieux roi en guenilles un monarque déchu et abandonné des siens… ».

C’est Mathilde qui est absente donc et pas la Garonne. Jean est celui qui se souvient et qui raconte, qui reconstitue. Mathilde in my mind, sans cesse. Il vit tourné vers ce passé à deux dont il n’arrive pas à se défaire. D’entrée, le lecteur apprend que Mathilde n’est plus – n’est plus là – sans qu’on lui en dise plus. L’intention du roman n’est pas de conter le temps sans Mathilde. A proprement parler du reste, Jean ne vit plus au présent si l’on ose dire. Il est pris dans les souvenirs de la vie avec Mathilde dans ce château désormais bien vide. Il se nourrit, se repose plus ou moins la nuit, accomplit ses devoirs à l’université presque… in absentia. Un autre couple, des réfugiés roumains (de même que l’auteur du roman en des intrusions raffinées dans la fiction), avec tact et compréhension, tâchent d’aider Jean à survivre dans ce quotidien esseulé. Jean-Michel Devésa excelle dans la restitution du flot intérieur, de la conscience narrative qui n’est jamais un bloc pesant, mais un émiettement fin et continu tels justement ces bouts de pain ou de brioche que Mathilde, autrefois, aimait… émietter pendant le petit-déjeuner, l’esprit ailleurs. Garonne in absentia est le roman de ce qui n’est plus présent que dans la conscience des êtres et qui, de ce fait et en tant que récit, est une réinvention de ce qui a été vécu.

« Comme dans un rêve, un cauchemar où le sujet qui dort est son propre spectateur, un ciel à lune nègre, un de ceux où Bécut pince les joues des filles ou tire les tétons de leurs nichons, une dernière trouée de lumière flatte les épaules et le cou de Mathilde, une main écartée sur la gorge et l’autre fourrageant dans les pétales plissées de sa chagatte, miraculeux porche des anges déchus ou pas, le plaisir à deux dos n’est plus qu’une lointaine souvenance ».

 

Théo Ananissoh

 

Jean-Michel Devésa est professeur de littérature à l’université de Limoges et auteur de trois romans parus tous aux éditions Mollat à Bordeaux.

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A propos de l'écrivain

Jean-Michel Devésa

 

Jean-Michel Devésa est né en 1956 à Alger. Il enseigne la littérature francophone du XXè siècle et de l’extrême contemporain à l’université Bordeaux Montaigne. Il est auteur de nombreux travaux de recherche en littérature. Bordeaux la mémoire des pierres est son premier roman.

 

A propos du rédacteur

Theo Ananissoh

 

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Domaines de prédilection : Afrique, romans anglophones (de la diaspora).
Genre : Romans
Maisons d'édition les plus fréquentes : Groupe Gallimard, Elyzad (Tunisie), éd. Sabine Wespieser

Théo Ananissoh est un écrivain togolais, né en Centrafrique en 1962, où il a vécu jusqu'à l'âge de 12 ans.

Il a suivi des études de lettres modernes et de littérature comparée à l’université de Paris 3 – Sorbonne nouvelle. Il a enseigné en France et en Allemagne. Il vit en Allemagne depuis 1994 et a publié trois romans chez Gallimard dans la collection Continents noirs.

Il a aussi écrit un récit à l'occasion d'une résidence d'écriture en Tunisie, publié dans un ouvrage collectif : "1 moins un", in Vingt ans pour plus tard, Tunis, Ed. Elyzad, 2009.

 

Lisahoé, roman, 2005 (ISBN 978-2070771646)

Un reptile par habitant, roman, 2007 (ISBN 978-2070782949)

Ténèbres à midi, roman, 2010 (ISBN 978-2070127757)

L'invitation, roman, Éditions Elyzad, Tunis 2013

1 moins un, récit, (dans Vingt ans pour plus tard), 2009