Frankenstein et autres romans gothiques en La Pléiade
Frankenstein et autres romans gothiques, traduction de l’anglais par Alain Morvan et Marc Porée, sous la direction d’Alain Morvan avec Marc Porée, 23 octobre 2014. 1440 p. Px de lancement jusqu'au 312 janvier 2015 58 €
Edition: La Pléiade Gallimard
Le terme « gothique » s’est employé et s’emploie encore dans les contextes les plus divers, de l’ethnicité à la mode vestimentaire et cosmétique, en passant par la typographie ou par l’architecture. Mais qu’en est-il du gothique littéraire, à l’effarante contagiosité (le roman gothique a connu et connaît encore le succès que l’on sait) ?
À la différence du classicisme, du symbolisme ou du réalisme, la littérature gothique ne se contente pas de se constituer en école – ce qu’elle n’a d’ailleurs jamais été tout à fait –, ni en mode ou en genre – ce qu’elle fut sans conteste. « C’est une orientation, une pente, une certaine forme de sensibilité, et même de vision ». Et un goût, pourrait-on ajouter.
Un goût pour – notamment – le spectaculaire, conçu comme frère du monstrueux, goût dont témoigne Le Château d’Otrante, roman d’Horace Walpole qui constitue, en 1764, l’acte de naissance du gothique littéraire.
Or, quelle est la contrée du spectaculaire ? Non celle (l’une de celles ?) que le spectaculaire a choisie par le cœur mais celle qui l’a vu faire ses premiers pas, qui l’a vu s’étirer les premières fois, celle qui a accueilli ses premiers cris ; ses premiers hurlements, enfin.
Le rêve, of course. Et l’on peut affirmer que Le Château d’Otrante est une œuvre annonçant, par certains aspects, le surréalisme, du fait de la présence de l’onirisme en son déploiement, présence que l’on retrouvera du reste de même façon chez M. G. Lewis et chez Mary Shelley. Walpole a ainsi pu confier à son ami le révérend William Cole qu’il avait rêvé, en juin 1764, d’une gigantesque main couverte d’un gantelet d’armure apparaissant en haut du grand escalier d’un château médiéval. Tel fut, suggère-t-il, le point de départ du Château d’Otrante.
Si, dans ce roman, le gothique est affaire de décor et d’atmosphère, il tient également – fortement – à la caractérisation et à la tension dramatique. « Non seulement – remarquent avec justesse les annotateurs – les personnages fortifient le sentiment d’inquiétante étrangeté* créé par le décor et par la trame narrative, mais ils accentuent puissamment la tension dramatique et ce qu’il est convenu d’appeler le “suspens” ». Les naïvetés ancillaires proférées par certains personnages retardent ainsi « avec grande efficacité les développements attendus ou les explications nécessaires ». Ces naïvetés exaspèrent de ce fait « l’intérêt anxieux du lecteur ». Walpole en a pleinement conscience, qui fait de cet habile artifice « un argument de plus dans sa justification de la mixité générique du récit » :l’irruption de digressions vulgaires, comme il le note dans la seconde Préface, donne plus de relief à l’événement en suspens.
Si le suspens est, avec le spectaculaire, l’un des principaux ingrédients du gothique, il en est un autre, que le suspens appelle et conforte : la peur.
Chacun à leur façon, les romans gothiques exaltent la peur – soucieux d’efficacité dramatique, désireux de provoquer quantité d’effets chez les lectrices et chez les lecteurs qu’ils convoquent –, en en voilant les causes réelles**, retirant au déchaînement de la peur la logique qu’elle a contribué à dérégler mais qui n’en demeure pas moins présente (et qui n’est autre que la logique du bon sens). Lui retirant cette logique pour que seule demeure – désormais – sa propre logique : la peur devient autosuffisante, se nourrissant d’elle-même, grandissant – indéfiniment – par cet acte d’auto-dévoration.
Faites l’acquisition de ce volume de la Pléiade (indispensable présent*** pour les fêtes qui approchent, à pas de moins en moins mesurés). Constituez, avec quelques artifices, chez vous, une ambiance propice à la danse, même immobile, des ombres sur les murs. Choisissez, pour lire, une position confortable. Et jetez votre dévolu – par exemple – sur la belle traduction de Frankenstein ou Le Prométhée moderne que nous offre Alain Morvan.
Frissonnez.
Frissonnez !
« C’est par une sinistre nuit de novembre que je contemplai l’aboutissement de mes efforts acharnés. Avec une anxiété qui confinait presque à la torture, je rassemblai autour de moi les instruments de vie, afin de pouvoir communiquer une étincelle d’existence à la chose inerte gisant à mes pieds. Il était déjà 1 heure du matin ; lugubre, la pluie fouettait les vitres et ma chandelle était presque entièrement consumée lorsque, dans la lueur de cette lumière expirante, je vis… »
Matthieu Gosztola
* Ainsi le tyran Manfred, qui incarne l’arbitraire se trouvant être l’un des principaux vecteurs de la peur, du fait des situations que font naître les institutions et la violence politiques.
** Comme le note Thomas De Quincey dans Le Bras de la vengeance, « ce qui est caché, incertain, mal défini s’empare toujours plus puissamment de l’esprit qu’un danger connu, mesurable, palpable et humain ».
*** Ce qui n’empêche pas d’avoir quelques réserves. Outre la rareté malvenue des notes (alors que les notices sont, elles, très complètes), si les éditeurs ont eu la bonne idée de republier l’étrange et magnifique Vathek de William Beckford, s’ils nous présentent – sans coupure – le terrifiant Moine de Matthew Gregory Lewis composant, avec un luxe infini de détails, une peinture clinique (qui ne se départit jamais du littéraire) de la pulsion, s’ils nous permettent de retrouver avec bonheur L’Italiend’Ann Radcliffe, l’on regrette néanmoins qu’ils n’aient pas ajouté à l’ensemble l’indispensable et somptueux Melmoth, l’homme errant de Charles Robert Maturin (1782-1824), et ce dans une nouvelle traduction, laquelle aurait été – pour le moins – bienvenue. Il faudra donc, pour combler cette lacune, se reporter à la traduction déjà ancienne de Jacqueline Marc-Chadourne, reparue, avec une préface d’André Breton, dans la collection Libretto des éditions Phébus en 2011.
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