Fragments du désert, Jean Marc Fournier (par Didier Ayres)
Fragments du désert, Jean Marc Fournier, éditions Ars Poetica, juin 2022, 77 pages, 18 €
Dieu
Oscillant entre Claudel et Eckart, ce livre, dont l’accès est exigeant, relate le lien de Jean Marc Fournier au monde spirituel, à la fois comme le contemporain de son siècle et dans la vision plus large de l’affirmation de sa croyance en Dieu. Cette lecture absorbante, qui engage le lecteur, nous conduit à réfléchir, donne matière à réfléchir, c’est-à-dire à penser et à miroiter dans le langage, ce dernier étant la ressource la meilleure pour se prendre dans les arcs lumineux de l’Évangile, ou au moins ce qu’est le Verbe pour le poète ici. C’est une aventure d’abord métaphysique.
Cette ambiance porte ce monologue, ce soliloque, sur les rangs du silence, de la solitude de l’être, loin des bruits du monde pourrait-on dire, dans un chemin de lisière, et hors de portée du matérialisme de notre époque, cheminement au-dedans de la personne, de la créature, pour refléter l’esprit du Verbe.
Le désert reste le lieu de l’épreuve, de la pénitence, de la méditation, de la liberté d’une grâce étrange. Surtout, il est ce qui n’a pas de nom. Sans figure, il protège de l’envahissante pléthore des symboles. Il est la nudité, l’ascension par la douleur et pourtant la paix sans vertiges. Il est tout près de nous et pourtant incroyablement loin… Terre natale toujours à découvrir. On y accoste presque agrippé à l’épaule de Dieu, ce corps qui n’est plus corps.
On est quelque part entre le Livre de Job et celui des Proverbes, où l’aphorisme prend son sens élémentaire, une proposition concise rappelant l’essentiel d’une espèce de prière, sourde et cependant active.
Sel mêlé à l’eau dans l’éclat du soleil : voilà la figure de l’homme que nous persistons à espérer !
Ou plus loin
Il faut boire, boire encore et toujours ses propres ténèbres pour mieux les recracher ensuite avec cette diversité si horriblement séduisante de leurs venins adverses et alliés. La source, sans cesse en péril, toujours prête à resurgir, se trouve en amont de la terreur qui charme et qui tue.
Parfois lyrique, parfois descriptif et récitatif, parfois conçu comme une aria, ce texte nous confronte à la grande tradition du miserere. Cette prose pensive, poèmes qui se proposent de mettre à contribution une certaine intelligence de la foi, nous ouvre l’univers invisible et silencieux d’une patiente mystique, mélange de l’Évangile et de langue profane. Au détour de ces pics de spiritualité, le livre se rend sur les terres secrètes et intimes de la dévotion. Donc au croisement de l’individu et du Créateur, paroles parfois hermétiques mais pleines de ferveur et de clairvoyance.
Dans l’ennui désœuvré, Il travaille à même notre néant. L’ennui simple portail pour l’ennui ; parfois chance de Dieu qui en fait son moyen de pénétrer en nous…
Didier Ayres
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