Formegisante, Philippe Thireau (par Didier Ayres)
Formegisante, Philippe Thireau, PhB éditions, 2020, 68 pages, 10 €
Coupure
Pourquoi utiliser le mot coupure pour titrer ces quelques propos que je veux consacrer au dernier livre de Philippe Thireau ? Parce que telle m’est toujours apparue la poésie brève japonaise, découpant des fragments fragiles de la réalité pour les agrandir et les faire changer d’échelle. En coupant le rythme de l’écriture par cette contrainte stylistique de la brièveté, de la promptitude à saisir ces événements éphémères, on arrive à densifier sa lecture, et à détacher, à couper, à prélever le réel ainsi gagné par la tension poétique qui en résulte. J’ai toujours à l’esprit ce que mon professeur de Paris III disait, en outre, au sujet des deux façons de créer, que la manière orientale consiste, après une longue méditation, à saisir la chose contemplée avec un différé, et que l’occidentale saisit la figure, la forme en la fabricant, dans un trajet vers l’invention. Ici, avec ces formes gisantes, je pense que l’on se trouve devant un mélange.
À mes yeux, cette poésie relève du métissage, poèmes métis, variations sur le haïku, dépassant aussi l’exercice de style, jusqu’à faire flotter la chair, le désir, les eaux de voyages maritimes, l’amour physique… du reste, la présentation matérielle sur la page suit une logique que je n’ai pas saisie. Mais, j’aime les secrets qui dessinent une présence. Car ainsi, ma présence au livre, donc à moi-même, devient flottante, découpée, en déséquilibre, tendue vers l’ailleurs inconscient du poète. On sait encore qu’il faut lire deux fois le haïku, pour reprendre l’invagination de l’attention de celui qui écoute, sens profond qu’il faut remettre à jour, sortir de l’enfoncement de la pensée.
mourir et mourir
ici, là, vers Carthago –
long cheminement
montagne des dieux
envers de sexe glacé –
comment va la vie ?
l’art des fleurs ami –
parfum subtil des narcisses
femme sans dessous
Cette méthode, en soi ambiguë, où Orient et Occident s’épauleraient, pointe une sorte de schize, où le court texte vient à gésir, se contenir seul dans la structure devenue gisante ; forme/gisante qui pousse à une espèce d’endormissement de la figure dans le discours, figure qui chercherait un cénotaphe, une closerie, un endroit où figurer et qui autoriserait le discours, mais toujours depuis les flèches énigmatiques de ces trois vers que j’associe à une métaphore de l’engourdissement de la parole, à une activité de discours, mais toujours en quelque sorte « mouillée » par l’encre de l’écriture, fraîche, labile, délicate, presque folle.
Recueil qui parlerait en regard du tombeau des formules, vers une action intérieure réitérée, une sorte de dit, comme si dire pouvait gésir dans le poème écrit, comme si cette force étrange de quelques mots brefs atteignait la coupure intérieure du lecteur. Ainsi, les incertitudes servent la profusion paradoxale de cette expression courte, poésie mitoyenne, mixte. Alternante. Allante.
Didier Ayres
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