Football, Sept Brevitas (Petites proses de cent mots), par Clément G. Second
D’agneau et d’or
Le magnifique ballon créé pour l’inauguration du grand stade, cuir d’agneau, coutures au fil d’or, fut lancé par une gloire nationale avec tant d’emphase que, survolant l’enceinte, il alla se perdre dans le lacis du bidonville voisin.
Plus tard, des gamins l’adoptèrent sans rien remarquer sous la boue collée de la flaque où il avait macéré.
Lorsqu’on leur eut presque arraché les oreilles pour s’être emparés de cette relique de la cérémonie, ils reprirent l’habituelle balle crevée qui absorbait les frappes – non sans avoir rangé avec soin dans leur mémoire une couche supplémentaire de haine pour quand ils seraient grands.
Le Sens de la foule
Ses poursuivants semés loin derrière, il va marquer impérialement face au gardien ébahi de sa course. Le but assuré au bout du pied, à peine besoin de pousser la balle. Il la voit gisant déjà dans les filets.
Alors un ralenti dans sa tête le fait se tourner posément vers le public tout entier admiratif. Et il tire en l’air. Belle trajectoire, hommage improvisé.
Le gardien l’enlace. Aussitôt après il se sent traîné sur la pelouse, piétiné sous un enchevêtrement de coups et de vociférations.
Juste avant d’y rester, il s’avoue ne pas avoir suivi le sens de la foule.
Fair-play
En football professionnel, réputation du sport oblige, des protestations d’innocence, des gestes élégants dissimulent souvent d’habiles vilenies entre adversaires. Bras levés, mon vis-à-vis souriant m’octroya une béquille renversante que ma cuisse apprécia. Aidé de sa main tendue je me relevai en complétant ma tape amicale d’une petite frappe au tibia. Plus tard, entraîné par ma chute calculée, il me gratifia d’une pointe du coude. Mon accolade lui rappela gentiment ses testicules. Nous nous insultions tout bas tandis que le public célébrait notre fair-play. Cette haine complice créait une sorte de lien ; notre poignée de mains finale fut presque sincère…
Les Signes de Semmi
Ce soir-là, les exploits footballistiques du grand Semmi éblouirent comme jamais. Il était en état de grâce, magnifiant à son habitude chaque but de ses mains levées, l’index vers le ciel en signe de reconnaissance. Après le quatrième, il lui fut étrangement impossible de les baisser. Les soigneurs accourus renoncèrent bientôt. Il continua de jouer ainsi ; à chaque nouveau but ses bras redescendaient, les index visant la terre. Ces changements furent pris pour une nouvelle forme d’hommage, que l’on célébra dévotement. À sa gloire s’ajoutait la réputation d’une extraordinaire originalité ! La mode était lancée pour ses nombreux imitateurs.
Bifoot en hausse
AFPSportfiction. La montée récente du bifoot préoccupe les tenants du football traditionnel. Associant à parité les deux sexes en équipes de douze, le nouveau jeu offre des rencontres aussi spectaculaires mais moins âprement compétitives. La mixité adoucit et affine la pratique. Tout carton pénalise le score. Bien qu’encore balbutiant, ce sport apaisé séduit déjà un nombreux public. « Comme en famille, nous collaborons à une belle œuvre collective », a déclaré une souriante capitaine. Et le célèbre Kishoot de rétorquer par médias interposés : « 50% d’une équipe ne va quand même pas se faire opérer pour la galerie ! ».
Un remplaçant
Grâce à lui, qui pourtant n’avait jamais rien fait de glorieux ni même de remarquable, l’équipe nationale remporta la finale. Il jouait collectif, fit deux passes décisives et marqua somptueusement le troisième but. Coéquipiers, public, commentateurs s’extasiaient en s’interrogeant. On lui demanda d’expliquer. Il répondit de sa voix d’adolescent prolongé que c’était simple : à l’hôpital, le titulaire-vedette blessé lui avait asséné : « N’essaie pas de me copier, je suis inimitable ». Alors, l’oubliant, il était retourné s’entraîner. Beaucoup conclurent à la fanfaronnade. Quelques-uns crurent comprendre, qui dès lors le saluaient comme un nouveau génie de la magie ronde.
Non ?
Ancien champion de football, son vieux père aveugle lui faisait lire les comptes rendus de matchs.
Ce jour-là : « AFPSportfiction. La finale de l’Intervilles, dramatiquement disputée, s’est soldée cette année par la victoire de Citéfoot sur Ballurbain aux tirs aux buts, 4 à 3. On signale que le ballon, lancé vers les gradins par le gardien auteur de l’arrêt décisif, n’a pu être retrouvé malgré le contrôle des sorties et l’inspection du stade. Une énigme que les annales retiendront ».
– Hummm, bizarre, grommela le père. Peut-être mieux comme ça… Invisible, va savoir pourquoi. Mais bien plus présent. Non ?
Clément G. Second
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