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Folklore, Charles Duttine (par Fawaz Hussain)

Ecrit par Fawaz Hussain 03.05.21 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Folklore, Charles Duttine, La P’tite Hélène éditions, 2017, 202 pages, 18 €

Folklore, Charles Duttine (par Fawaz Hussain)

 

Le mot anglais « folklore » désigne « l’ensemble des productions collectives émanant d’un peuple et se transmettant d’une génération à l’autre par la voie orale et par l’imitation ». Charles Duttine en élargit le sens et montre que son Folklore à lui n’a rien de folklorique. Son recueil de nouvelles est une illustration du dynamisme de la psyché et de sa pérennité empreinte de mystères. Enseignant en lettres et en philosophie, il semble avertir une fois pour toutes ses élèves que les mythes et les légendes qu’on dit d’un autre âge sont beaucoup plus présents qu’ils ne le pensent. Les archétypes comme Orphée, Eurydice, Médée, Narcisse, le Léviathan, Ariane, Thésée, Pygmalion, vivent parmi nous, avec toute la panoplie des nymphes et des satyres lubriques. Ils rôdent au pied des tours et des barres des cités de banlieue et défraient les chroniques dans les quartiers bourgeois de la capitale. Les monstres des croyances archaïques sont là où l’on les soupçonne le moins, bien tapis en nous, et ils rejaillissent de nos entrailles au moindre craquellement du vernis de la convenance. Le tour de force des treize nouvelles de Folklore le montre, preuves à l’appui.

Les figures mythiques d’autrefois changent seulement de nom. Elles s’appellent désormais, et dans le désordre, Aziz, Magic Boss, Diabolic, Manuel Da Silva De Souza, Creuze, Jérôme, Lucien, Thomas. Si des prénoms comme Ariane ou Eurydice peuvent encore être d’usage, c’est plutôt rare. La psyché humaine étant indémodable, indéboulonnable, les images qui obsédaient les hommes et les femmes de l’Antiquité continuent à nous travailler, alors que nous avons entamé notre troisième millénaire. Et puis, il faut bien se persuader que les prénoms ne sont pas sans tirer à conséquence. Eurydice, qui ouvre le recueil, vit dans une banlieue mal famée. Elle est française, avec une mère bretonne, et un père africain, peul d’origine. Mais quand elle fait la connaissance d’Aziz, un petit trafiquant de drogue, ce dernier se mue en Orphée. Un lien très fort lie les deux banlieusards et, comme pour le couple mythique, la chute de l’un entraîne fatalement celle de l’autre. Le mythe se répète à l’infini.

Dans Le fil brisé, Ariane est folle amoureuse de Lucien qu’elle voit souvent dans les bars et les cafés bruyants de Denfert-Rochereau. La nouvelle incarnation de Thésée braque une bijouterie dans un quartier chic de la capitale et le fait divers tourne au drame. Complice malgré elle, Ariane se cache dans les catacombes de Paris dont elle connaît le labyrinthe à force de l’arpenter avec son compagnon. Les minotaures étant les autres, on ne sait jamais sur qui on peut tomber. Comme la figure archétypale, la fille du roi de Crète, Ariane la Française est condamnée elle aussi à rester une femme abandonnée et esseulée.

Les nouvelles de Folklore ne sont pas gaies, à part peut-être Attention à la peinture, où sont abordés le thème de Pygmalion et la thématique du créateur qui tombe éperdument amoureux de l’une de ses créations. Le tragique reprend vite le dessus bien que tous les protagonistes semblent vouloir aspirer à une vie ordinaire et banale. La Médée moderne, héroïne de Médée ou l’histoire d’une femme ordinaire, reste mariée à son Jason malgré sa rivale Creuze. Elle n’a pas le courage d’aller jusqu’au bout de sa folie meurtrière.

L’idée la plus obsédante et la plus angoissante de Folklore est l’attitude de l’homme devant la fuite du temps. Le mystère de la vie et de la mort reste total malgré les innombrables progrès réalisés par les sciences exactes aussi bien que sociales. Le Temps-Aiôn s’amuse du personnage principal de L’amertume de nos anniversaires qui est persuadé que son existence s’arrêtera avant ses quarante ans. Dans Léviathan au centre de la France, Jérôme retourne après de longues années d’absence à Bourges, une ville qu’il connaît très bien. Il éprouve un sentiment étrange, un malaise indéfinissable, quand il se retrouve devant un lieu saint auquel il était autrefois très attaché. Le temps passe et l’homme trépasse et Jérôme arrive à la conclusion qu’« au cœur de tout homme, il y a une part d’ombre, de mystère et de terreur qu’il ne convient peut-être pas de sonder ».

La fuite du temps se révèle particulièrement inquiétante dans Anonymous, un nouveau Gygès, l’une des nouvelles parmi les plus remarquables de ce recueil. L’action se déroule en 2118 et l’homme est déjà devenu un numéro, une suite de chiffres, un code barre. « Les enfants, après avoir bégayé leurs premiers mots, étaient tenus de retenir ce numéro au plus vite. Il allait les suivre tout au long de leur existence ». Thomas G. est du jour au lendemain banni de la société des ordinateurs et des hommes pour devenir un parfait anonyme et bientôt à la rue.

Les nouvelles de Folklore sont autant de faisceaux de lumière qui éclairent de multiples facettes sombres de l’âme. Elles sondent l’humain en nous, humain tourmenté, angoissé et menacé en permanence de sombrer dans le tragique, l’irréparable. Les mots comme « étrange », « anormal » et « énigmatique » balisent les virages de ce cheminement mené avec brio. Le lecteur, appelé « Ami lecteur », est invité tout au long de la narration à partager les réflexions de l’auteur et à adhérer à la visée pédagogique du professeur, ce qui est fait : « Qu’ils s’appellent légendes, mythes ou fables, nous nous débattons depuis toujours au milieu d’eux. Ils nous ont imprégnés et façonnés. Nous baignons dans ces sources. Telles des résurgences dont nous ne pouvons plus nous défaire, elles viennent de leur flot souterrain nous rappeler ce que nous sommes, en tapant sur notre esquif et en nous faisant tanguer ».

On ne sait pas qui on doit remercier le premier. Est-ce l’auteur ou le professeur ?

 

Fawaz Hussain

 

Enseignant en lettres et en philosophie, Charles Duttine est l’auteur de Folklore (Ed. La P’tite Hélène) et de deux ouvrages publiés aux éditions Z4, Au regard des bêtes, et Henri Beyle et son étrange tourment.

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A propos du rédacteur

Fawaz Hussain

 

Fawaz Hussain est né au nord-est de la Syrie dans une famille kurde. Il vit à Paris et se consacre à l’écriture et à la traduction des classiques français en kurde, sa langue maternelle.