Foch, Jean-Christophe Notin
Foch, Jean-Christophe Notin, Editions Perrin, 2008, 649 pages
Ecrivain(s): Jean-Christophe Notin
Déjà copieusement décortiqués depuis un siècle, mais cette fois soumis aux révélations d’assembleurs et scanners ultra sophistiqués, les évènements rattachés à la guerre de 14-18 délivrent aujourd’hui de tout nouveaux spectres de vérités. Y compris sur des consensus que l’on admettait définitifs. Fleurons d’une entreprise d’investigation nouvelle et percutante, ces outils performants manifestement placés au service d’un esprit alerte et avisé auront alors sûrement rapporté à Jean-Christophe Notin la distinction de son Foch, dont la parution fut glorieusement saluée dès sa sortie en 2008.
Le Prix « Louis Marin », décerné à l’auteur lors de cette publication, nous dit combien cet ouvrage se vit rapidement honoré pour sa qualité. Mais l’attention accordée ici à ce livre retiendra moins les critères de son accueil en librairie que ses caractéristiques de biographie rectificative. Celle-ci vient en effet aujourd’hui balayer de sérieux préjugés, à la peau dure, ayant malencontreusement déformé l’image du réputé « Vainqueur de 1918 » depuis cette époque. Soudain démaquillé des grimages qui ont longtemps résolu son fard glorificateur, le pieux maréchal se révèle alors, sous son aspect redevenu naturel et authentique, la personnalité autrefois décrite par des auteurs happés par la symbolique, souvent plutôt appréciés maintenant comme hagiographes que comme historiens (Pierre Dumas à ce titre).
Le mérite de Notin se verra ainsi dans son tableau recouvrant et réaliste, nettement correcteur de la place véritable occupée par celui qui récolta en 1918 le titre élogieux mais pseudo-canonique de « grand libérateur national ».
Non point l’image d’un génie que l’on ignora longtemps ou qui resta durablement à couvert, c’est celle d’un petit homme, au contraire un peu quelconque, mais besogneux et intrépide, pétri de fascination militaire et croyante qui nous est rapportée du Foch menant, à la fin du XIXe siècle, une plutôt laborieuse carrière d’officier. Provenant de la « Jésuiterie » (désignation utilisée par l’historien Pierre Miquel), le protagoniste effectuera en effet une assez lente montée en grade au sein des armées.
Ne lui reconnaissant aucune exceptionnelle qualité, ses supérieurs militaires deviendraient notamment la cause de cette entrave récurrente. De la bouche de généraux confirmés, et s’agissant de certaines déclarations de l’élève militaire, sait-on que son expression courante laissait âprement à désirer. Ses productions écrites pointaient en outre des défauts similaires : « Ses phrases sont hachées, incomplètes, dédaigneuses de la correction grammaticale… ». Assertion tenue par l’un de ses camarades, bientôt avec lui candidat à polytechnique (p.21). Quid de la véritable agilité mentale, ainsi de la pensée qui en découla pour notre futur grand coordonnateur des armées alliées ? Selon Notin, c’est en tout cas avec peine et dans la multiplication des tentatives que Foch était préalablement parvenu à intégrer l’X. Son brevet d’état-major en poche, l’étudiant vit encore les obstacles se dresser devant sa promotion individuelle, malgré le stratagème relationnel auquel il tenta de recourir plus d’une fois. Sensible à sa personne et à son échec, le lieutenant-colonel Millet lui avouait : « …vos juges, généraux à votre âge, vous trouvent trop jeune pour faire un chef d’escadron »… (p.30). Diable ! On se situe là très nettement en-deçà du héros à la prédestination heureuse, sous l’apparence duquel un Clémenceau salua même plus tard – atténuée par sa rhétorique légendaire – une assez auguste représentation : « Il se prend pour Napoléon […] Il y a du César dans le maréchal. Enfin, un César passé par l’École de guerre ». Ce qui nous revient de son parcours militaire est bien que Foch n’aura assurément pas emprunté un chemin très fulgurant dès le départ, pas plus qu’il ne se sera distingué comme un stratège à l’égal de Napoléon (sa référence) dans sa jeunesse. Sûrement aussi, le « César » assez ironiquement concédé par le président du conseil de 1918 renvoyait-il plutôt à la période antique où quelques empereurs, aussi éphémères qu’insignifiants, s’étaient vus couronnés de ce genre de lauriers presque mécaniquement acquis (Galba/Otton/Vitellius…).
Les précautions utilisées par Notin dans le jugé de ce parcours préalable n’en amènent toutefois que mieux la vraisemblance et le succès des obstinations d’un Foch révélé par la suite. Un tel contraste méritait en effet un déploiement explicatif de cette composition complexe, soulignant toute l’amplitude d’une ascension vers les sommets, mais beaucoup moins évidente et fluide que celle dont on se gaussa jusqu’à maintenant.
Un quatuor hétéroclite, constitué de Wilson, Lloyd Georges, Clémenceau et Foch, dévoile le contexte scabreux et fébrile de fin de guerre en lequel le dernier trouvera cependant les moyens quasi accidentels de son faire-valoir. Compte tenu des dissensions continuelles de ces quatre hommes entre eux, le commandement unifié des opérations militaires de reconquête fut certainement la place premièrement la plus difficile à tenir. L’éponge passée sur les échecs de Foch et pointés aux heures précédentes (Morhange en 1914, la Somme en 1916…) aura aussi assez manifestement permis au général « rentré en grâce » de saisir bientôt l’avantage d’un commandement heureux, spécialement porté par son entêtement et ses propensions casuistes d’antan. Probablement, de cette période pour lui plus favorable, le maréchal français tirerait sa vanité défiante, sa notoriété internationale récente aussi promise à une longue histoire : « Mon commandement a apporté la victoire à l’Amérique. Jamais jusqu’à présent le gouvernement américain ne m’a dit : merci sous aucune forme » (p.503).
Par continuité d’analyse historique et dans la transposition du militaire à l’économique, le contour européen actuel dans son univers dépendant ne laisse-t-il pas entrevoir ce même déséquilibre sans cesse remontant des revendications nationales ? Peut-être est-ce bien sur cette thématique coriace que le Foch de Notin renvoie judicieusement au final.
A lire sans a priori, tout en se délectant du détail agrémenté d’observations pertinentes !
Vincent Robin
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