Filaments, Elisa Biagini (par Didier Ayres)
Filaments, Elisa Biagini, éditions Le Taillis Pré, juillet 2022, trad. italien, Roland Ladrière, 160 pages, 18 €
Contenir
Grâce à cette traduction depuis l’italien, Roland Ladrière nous fait découvrir la poésie d’Élisa Biagini. Cela est important que l’écoute de la poésie se diffuse et s’agrandisse à un lectorat international, dessinant le profil d’une poétesse dont l’expression est tenue.
rassembler partout
dans la sphère mais au centre
le silence tout seul
Je dirais que deux raisons particulières ont formé pour moi la tension poétique de ce recueil. La première, c’est l’impression d’enfermement qui découle de cette lecture. Ici des tiroirs, des nids, des pots, des contenants seuls capables de retenir le poème, de l’enclore. Donc, la poésie des choses intérieures. L’intérieur d’un corps.
La deuxième impression, c’est l’importance du corps, d’un corps en morceaux, pas une présence continue et imposante. Donc, cerveau, doigts, cœur, poumons, mains, pieds, tendons, rétines… un monde de soi fragmenté ; ce qui explique le recours à l’enfermement, à la force motrice qui va à l’encontre de la parcellisation.
Je n’oublie pas non plus le sujet de l’Autre. Est-il l’amant, le compagnon, le père, le frère ? En tout cas, le poème reste suffisamment ouvert pour l’Autrui du poème, soit un Aubain.
Je m’éveille dans ton sommeil,
les genoux cassés,
et te dis : repousse-moi
en cette eau ou bien
essuie-moi avec les cheveux
de ton nom.
Comme je le fais souvent durant mes lectures, grâce à des notes prises au portemine, j’ai inventorié des épithètes afin de saisir l’essence du poème. Ici, ces Filaments – liens astraux en un sens – m’ont permis de trouver une dizaine de termes propres à indiquer un chemin, ou en tout cas, le mien à travers le poème. Je cite : « contenir, emplir, creux et pleins, formes susceptibles de s’ouvrir, tension et relâchement, accumuler, enclore, recueillir, rassembler »… Ces termes généraux marquent selon moi une vraie aventure littéraire, une exploration qui ne s’arrête pas au plus simple mais puise, presque difficilement – car l’on sait les difficultés qu’occasionne l’écriture d’un poème – dans un répertoire habité, recherches formelles qui savent rester inventives et ne choisissent jamais le plus aisé. Nous sommes donc devant une créatrice.
Didier Ayres
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