Femmes, Nizar Kabbani (par Didier Ayres)
Femmes, Nizar Kabbani, Arfuyen, novembre 2020, trad. arabe, Mohammed Oudaimah, 68 pages, 12 €
Mais pour elle, – de moi vers elle, – oserai-je dire et observer ! Elle, qui retint plus que tout ami en moi ; que j’appelle sœur aînée délicieuse ; que je sers comme Princesse, – ô mère de tous les élans de mon âme […]
Victor Segalen
Du féminin
Nous savons que le poète, qu’il soit oriental ou occidental, taille le monde pour le rendre à lui-même, augmenté de la parole imagée. Ainsi, ce sont les grands sujets qui hantent souvent l’enfant d’Apollon. Il est près du beau, de la jouissance esthétique. Ce recueil de 25 poèmes de Nizar Kabbani illustre très bien cette situation donnée au créateur. Là, il peut ouvrir le vaste chant, le vaste champ d’investigation du féminin, à la fois grâce au désir, au souffrir, au pleurer, à toute formes de liens, liens plus forts que le désir lui-même, peut-être. Femmes est de cette espèce.
Et comme la poésie n’est pas littérale, ou si elle l’est, elle dédouble parfaitement le calque du réel et ainsi décrit un monde, l’univers du dedans de l’écrivain, on voit que ces femmes sont ensemble l’épouse, la défunte, la sœur, la compagne, l’amante, la mère, mais aussi l’idée du féminin, forme spirituelle attrayante et presque détachée des contingences de la chair, femmes de papier qui emblématisent complètement les filles d’Ève. L’épouse de Nizar est l’objet d’une épiphanie.
Aurais-je dû intituler ces lignes : de l’amour ? Car les poèmes glissent vers plus haut, exhaussent cette fête du corps, corps perdu mais retrouvé par le texte, ripailles du verbe et des attributs féminins, conçus comme combustion. Béatitude, en un sens, mais surtout étrange question des déesses : Gaïa, laquelle n’aurait pas enfanté les Titans mais un nombre de demoiselles radieuses, profondes et aussi morbides, douloureuses ; Gaïa ou Myriam, apparition mariale, femme inscrite quoi qu’il en soit dans le « cahier du poème », toutes figures dépassant la mort, l’angoisse.
Poème inachevé
pour définir l’amour
Quand j’ai fait route sur tes mers, ma reine
je ne regardais pas les cartes
je ne portais de canot ni de bouée
mais j’ai vogué vers ton feu comme un bouddha
et j’ai choisi mon destin
Mon bonheur était d’écrire à la craie
mon adresse sur le soleil
et sur tes seins de construire les ponts
Cette édition se présente dans un format bilingue, calligraphié, ainsi que d’une postface très éclairante de Vénus Khoury-Ghata. J’en citerai une dernière chose parmi ces quelques poèmes très denses du livre, qui indique un chemin de beauté pour le lecteur que je fus :
Dialogue
Lorsqu’ils me demandent qui est mon amour
je leur réponds : Ah, si je pouvais le dessiner
Depuis vingt siècles je l’aime
et je ne connais toujours pas son nom
Didier Ayres
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