Faites les fêtes, Francis Marmande
Faites les Fêtes, Nouvelles Editions Lignes, 253 pages, mai 2012, 20 €
Ecrivain(s): Francis Marmande
Il y a mille-et-une façons de faire les fêtes. Mille-et-une aussi sans doute de les écrire, ce qu’on a curieusement peu fait. Francis Marmande vient de s’y coller, dans un livre en forme de vide-poches qui en épuise environ 63, ni plus ni moins, soit le nombre exact de ses pérégrinations aux fêtes de Bayonne, la première de ses villes natales, depuis 1949. Il a alors 4 ans, et c’est l’âge idéal pour entrer enfin dans cette autre université de tous les non-savoirs. « Joie d’abandon » ? Voire. Juste au moment de l’été, disons quand on voudra mais de préférence entre Herri Urrats (mai) et les fêtes de Sare qui closent un peu la saison (septembre), c’est une propédeutique pas banale pour aller se perdre, le verre à la main, dans les fêtes dites « locales », les gaztexte et autres peñas basques qui vous laisseront peut-être entrer. Ou alors, préférer le Guide Michelin, mais c’est autre chose.
Le livre, poteo littéraire, déambule au caprice de la mémoire, et trinque au comptoir de tous les genres, comme on filerait le train au hasard en personne, d’un bar à l’autre, à Donosti. Ce sont des anecdotes personnelles, déjà racontées ailleurs (l’honorable ruade d’une vache en 1976, lire le jubilatoire Chutes libres) ou inédites, toujours truculentes, où la mise en scène héroï-comique donne souvent le pouls de l’amitié, régionalismes compris (les cheveux « trempes »…).
On y découvre en filigrane quelque chose de l’historique de ces fêtes de la nuit des temps, inventées avant-hier à peine, en 1932 (la mode du rouge et blanc est encore plus récente). Ce sont des trouées poétiques qui scandent comme un autre rythme de la vie possible, sur fond de free jazz. Ce sont des emprunts où Marmande mêle à sa propre voix celles qu’il tient fermement chevillées au corps, Bataille, Duras, Leiris… ou qu’il détourne allégrement (Stendhal, Barthes). Bataille, surtout : « Souvent nous oublions que la littérature est fête ». Et puis, dans ces fêtes, l’occasion unique de se livrer au bonheur philosophe de la dépense inutile, celle de ces « citernes de pensée définitivement perdues pour le genre humain ». L’occasion aussi de « vérifier l’état du monde et de la question », a fortiori à l’heure où on les craint comme jamais. Délire « normopathe » de surveillance généralisée ? Si rien n’est permis, au moins tout y est encore possible. D’ailleurs « dans cent ans, des anthropologues chinois en feront sept volumes ». Vrai qu’il y a sacrément du boulot.
Bayonne, Itxassou, Séville… Marmande cultive les Fêtes cardinales, comme d’autres les vertus. On peut être parfois irrité par un brin de pose surjouée, des effets trop appuyés (à l’instar de ce titre délibérément bêta au énième des premiers degrés), des tautologies qui feignent les abysses ou des aphorismes en chapelet : aux fêtes aussi l’oubli de soi n’est pas si facile. Tout pourtant dit ici l’être-là des fêtes, à l’envers exact de cette « vie attelée » qui nous servirait trop souvent d’ordinaire sans l’amour, la musique, ou la littérature.
Frédéric Aribit
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