Exercices à trous, Marc-Émile Thinez (par Philippe Chauché)

un souffle

un frisson des narines

lui tranquille assoupi

si loin du village proche

un trou perdu madame en fit le sien

lui dedans

Montaigne jusqu’au cou »

le trou de madame, exercice à trous

Dans les Landes où sont installées les Editions Louise Bottu, pour chasser la palombe quand l’oiseau bleu traverse le ciel en regardant les Pyrénées qui se dessinent au loin, les chasseurs s’installent dans des cabanes construites dans les arbres, baptisées palombières. Les Editions Louise Bottu ressemblent à ces cabanes où se dissimulent les chasseurs, pour quelque gibier à plumer. De là à dire que les auteurs se font tirer en plein vol, ce serait mal me comprendre. Non, il y a chez Louise Bottu une passion de l’oiseau rare, ils sont poètes ou romanciers, s’amusent des contraintes, ont le goût de la surprise, de l’amuse-bouche littéraire, qui met en appétit, en gardant la tête légère, ils écrivent des livres fins comme des plumes d’oiseaux. Ajoutons à cela que le beau nom de cabane définit bien ces éditions, qui ne rêvent ni de marbre, ni de baies vitrées qui s’ouvrent sur un éternel salon du livre avec les prix littéraires qui vont avec, mais d’une maison en rondins, aux parfums d’essences de bois rares, ce petit livre en est l’exemple parfait. Marc-Émile Thinez, dont on ne sait rien ou presque rien, un trou biographique, a publié son premier livre chez ce même éditeur il y une dizaine d’années : La Révolution en 140 tweets, trois autres ont suivi, dont son Dictionnaire de trois fois rien qui fait une courte apparition dans ce nouveau livre, citant une lettre de Flaubert à Louise Collet : Les œuvres les plus belles sont celles où il y a le moins de matière…, et l’on peut, sans trop de risque, parier un salmis de palombe, que Flaubert aurait trouvé ce livre d’exercices à trous très appétissant. Mais le trou, ce n’est pas rien, et l’auteur nous le prouve en 90 pages, en jouant avec les mots, les citations plus ou moins imaginaires, les détournements comme si un trou pouvait en cacher un autre. Marc-Émile Thinez, on le savait en le lisant, est un goûteur de dictionnaires, où il se niche, puise et pioche des définitions. Il se pique aussi de détourner quelques poésies empruntées à Rimbaud et à Villon, éloge aux trous, qui hantent ce petit livre inclassable. Il se souvient également de quelques trous de jeunesse.

« Le trou d’Aguer s’appelle aussi Lamina ziloa, le Trou des laminak, ces lutins basques des puits, des grottes, des trous d’eau, d’apparence humaine sauf qu’à la place des pieds ils ont des pattes de poule ou de canard, de chèvre ou de quelque autre animal familier ».

Exercices à trous est ainsi un exercice d’équilibriste littéraire, il faut une certaine agilité pour ne pas glisser dans tous ces trous qui s’ouvrent dans le livre, même si parfois au fond du trou sommeille l’inspiration. Marc-Émile Thinez nous entraîne dans Le trou de madame, à Préchacq-les-Bains, où un autre complice, Montaigne, se rendait pour soigner sa gravelle. Plus loin, c’est un autre trou qui met au défi des jeunes gens, y sauter revient à courir le taureau dans les abrivados du Sud-est, à quitter l’enfance pour flirter avec l’adolescence. Ce petit ouvrage est ainsi troué de récits où l’auteur s’éboue avec un plaisir qu’il nous fait partager. Comme certains écrivains ne manquent pas d’air, perchés sur leurs certitudes littéraires, Marc-Émile Thinez, lui, ne manque jamais de trous, et il en fait un livre grêlé, tel un gruyère, de trous imaginaires.

Philippe Chauché

Marc-Émile Thinez a publié chez Louise Bottu : La Révolution en 140 tweets ou Les lendemains qui gazouillent ; Dictionnaire de trois fois rien suivi d’un dictionnaire de rien du tout ; L’éternité de Jean ou l’écriture considérée comme la castration du maïs ; J’aurai été ceux que je suis.

https://www.lacauselitteraire.fr/dictionnaire-de-trois-fois-rien-suivi-d-un-dictionnaire-de-rien-du-tout-marc-emile-thinez.