Excursions dans la zone intérieure, Paul Auster (2ème article)
Excursions dans la zone intérieure, traduit (USA) par Pierre Furlan, mai 2014, 368 p. 23 € (ce livre existe en ebook, 400 p. 16,99 €)
Ecrivain(s): Paul Auster Edition: Actes Sud
La Littérature comme FRAGMENT introspectif, « Invue » d’une vie : « Au commencement, tout était vivant » !
Excursions dans la zone intérieure de Paul Auster s’inscrit dans le prolongement d’un dialogue entre le « je » et le « tu », entre celui qui écrit et lui-même. Non pas sur la question du corps sensoriel, des mutations liées aux expériences physiques – Chronique d’hiver paru en 2013 – mais sur la reconstruction de son esprit, dans un journal cinématographique elliptique, labyrinthique où s’incarne l’environnement socioculturel d’une Amérique de la seconde moitié du 20e siècle.
« Etre comme tout le monde » permet à Paul Auster de poser l’espace de son interrogation comme le fil entre les deux ouvrages, entre ses deux états. L’auteur dessine le paysage de son enfance, souvenir d’une tasse en porcelaine décorée de deux illustrations tirées des livres de Beatrix Potter ; dont « tu » te sers encore aujourd’hui chaque matin pour prendre le thé. Jusqu’à l’âge de cinq ou six ans, croyant que les mots anglais pour « être humain » (being human) se prononçaient de façon à signifier « haricot humain » (been human), étant le symbole de la « vie même » de part sa petite taille.
C’est à travers la vision du film La guerre des mondes, d’après le roman de H. G. Wells, que se déconstruit sa vision du bien et du mal « une ombre jusqu’à ne devenir rien, pas même une ombre »… comme une dépossession, une image dans l’image. Toutefois, il n’est pas question de revenir surL’Invention de la solitude (premier livre fondateur de « ton » œuvre), Portrait d’un homme invisible et le Livre de la mémoire, où Paul Auster interroge la mémoire familiale. Mais de poser une singularité littéraire depuis un monde à l’origine et au-travers l’écran de la contingence.
Un L retourné en sens inverse et un A la tête en bas, comme un miroir « objectif » du chemin entre son désir d’écrire et la liberté que cela engendre, symbolisé par ces deux signes :
Un temps fragile d’une vie où l’homme Paul Auster nous montre que « nous ne sommes peut-être pas un étranger en nous-mêmes », restant à faire le chemin de retour nécessaire à l’accomplissement de sa vie ! :
« Mais alors même que je touchais les miettes desséchées et effritées de cette nourriture, c’était comme si mon corps avait cessé d’exister. Plus de faim – finie, la terrible peur de rétrécir… Qu’étais-je alors ? Encore un être humain ? Ou bien l’homme de l’avenir ?… J’avais raisonné selon la dimension limitée de l’homme. Et j’ai senti mon corps diminuer jusqu’à n’être rien, devenir rien… Oui, même si j’étais le plus infime des infimes, j’avais moi aussi un sens. Pour Dieu il n’y a pas de zéro. J’existe encore ! », L’homme qui rétrécit, 1957 (réalisation de Jack Arnold d’après le roman The Shrinking Mande Richard Matheson, 1956).
La seconde partie du livre – Capsule Temporelle – est consacrée aux années de transition vers l’âge adulte, à une large reproduction des longues lettres écrites à Lydia Davis, sa future première épouse et future romancière, à celle qu’il aimait et qui lui manquait. Des Excursions qui donnent accès à ses pensées, ses doutes, au désarroi d’un jeune homme qui n’est pas encore tout à fait un écrivain. Et qui souligne remarquablement l’enjeu littéraire d’un homme de 67 ans, dont l’œuvre d’exception a su l’imposer comme l’un des écrivains les plus remarquables de sa génération.
« Je est un autre » (ou comment se séparer de toi-même pour enfin même être Soi !).
Le temps probablement d’une nouvelle forme esthétique, à l’image du peintre japonais Hokusai qui, à plus de 70 ans, aborda sa pratique d’une manière entièrement nouvelle : « Tout ce que j’ai fait jusqu’à présent ne vaut pas grand-chose ; je commence seulement à comprendre ce que signifie dessiner »…
Article écrit par Marc Michiels pour Le Mot et la Chose
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