Europe, numéro 1032, « Federico García Lorca »
Europe, numéro 1032, « Federico García Lorca », avril 2015, 20 €
Vicente Aleixandre, lorsqu’il évoque Federico García Lorca, note : il passait magiquement dans la vie, comme sans prendre appui ; [il] allait et venait sous les yeux de ses amis avec un je-ne-sais-quoi de génie ailé qui dispense ses grâces, vous rendant un instant heureux, pour s’échapper aussitôt comme la lumière, qui l’habitait […]. « Qu’est-ce qui te fait mal, mon enfant ? », semblait lui demander la lune. « La terre, la terre et les hommes, la chair et l’âme humaine, la mienne et celle des autres, qui ne font qu’un avec moi, voilà ce qui me fait mal ».
Le poète est peut-être un être dépourvu de limites corporelles.
Dans les heures avancées de la nuit, en traversant la ville, […] dans une pension, avec un de ses amis, parmi les ombres humaines, Federico revenait de la joie, comme d’un lointain pays, vers cette dure réalité de la terre visible et de la douleur visible.
Le poète est peut-être
un être dépourvu de
limites corporelles.
Alors l’écriture ; alors la poésie :
ÂME ABSENTE
Tu n’es plus rien pour le figuier ni le taureau,
pour les chevaux ni les fourmis de ta maison.
Tu n’es plus rien pour le soir ni l’enfant
parce que tu es mort à tout jamais.
Tu n’es plus rien pour le dos de la pierre,
rien pour le satin noir où ton corps se défait.
Tu n’es plus rien pour ton souvenir même
parce que tu es mort à tout jamais.
L’automne reviendra avec ses conques,
raisins de brume et montagnes en groupes,
mais nul ne voudra plus revoir tes yeux
parce que tu es mort à tout jamais.
Parce que tu es mort à tout jamais,
comme le sont tous les morts de la Terre,
comme le sont tous les morts qu’on oublie
en un monceau de chiens éteints.
Nul ne te connaît plus. Non. Mais moi je te chante.
Je chante pour demain ton profil et ta grâce
et la maturité de ton savoir insigne.
Ton appétit de mort et le goût de sa bouche.
La tristesse qu’avaient ta joie et ta vaillance.
Il tardera longtemps à naître, s’il naît un jour,
un Andalou si clair, si riche d’aventure.
Je dis son élégance avec des mots qui pleurent
comme une brise triste parmi les oliviers.
Matthieu Gosztola
- Vu : 3941