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Euclidiennes, Eugène Guillevic (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola le 08.03.19 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Euclidiennes, Eugène Guillevic, Gallimard, coll. Folio+Collège n°46, septembre 2018, dossier par François Mouttapa, 160 pages, 5,50 €

Euclidiennes, Eugène Guillevic (par Matthieu Gosztola)

François Mouttapa, dans son édition commentée, didactisée à destination des collégiens, des Euclidiennes de Guillevic (qui, en mêlant poésie et mathématiques, a inventé une « poémathique »), nous invite, de manière sous-jacente, à repenser l’enseignement des Lettres.

Anne Armand, dans L’Histoire littéraire, Théories et pratiques [1], pose les cadres de référence : « Pour l’élève d’aujourd’hui, qui manque des repères traditionnels proposés par les manuels, par le discours scolaire, “toutes” les œuvres du passé, c’est-à-dire qui n’appartiennent pas à son temps personnel, apparaissent globalement comme lointaines, dans une perspective écrasée qui mêle au moins trois siècles de littérature ».

L’enseignement des Lettres qui traite d’objets patrimoniaux doit « relever un défi », commente François Mouttapa dans L’histoire littéraire au lycée : retour ou nouveau départ ? [2] Quel est ce défi ? « [F]aire face au “régime d’historicité”, pour reprendre la formule de François Hartog, à la manière dont les jeunes générations pensent leur rapport au passé. Il y a d’un côté le présent auquel ils appartiennent, et de l’autre un bloc informe, celui du passé, écrasant toutes les œuvres sans approche linéaire, séquencée ou hiérarchisée.

Plusieurs raisons l’expliquent, au premier plan desquelles la désynchronisation des progressions disciplinaires parallèles en Lettres et en Histoire et une approche universalisante des objets littéraires qui leur retire toute singularité historique. Voltaire s’engage contre le fanatisme de même qu’Hugo s’engage contre la misère. D’autres raisons s’ajoutent à celles-ci : le traitement de l’Histoire dans les nouveaux genres littéraires, comme les sagas de l’heroic fantasy qui reposent sur le brouillage et l’hybridation des formes, le régime de muséification dans lequel on installe les œuvres littéraires et artistiques du passé ou encore l’éloignement inéluctable des jeunes générations des cadres de référence d’œuvres comme celle de Camus ou de Sartre, perçues jusqu’à une date récente comme centrales et modernes ». Conséquemment, les œuvres sont perçues comme « séparées du réel et des pratiques sociales ».

Et que dire de « l’effacement de la figure de l’auteur » ? Cet effacement, « envisagé pour des raisons théoriquement valables, prive les adolescents de figures littéraires médiatrices et les expose à les chercher ailleurs. Dans leurs pratiques de lecteurs, ils ne développent quasiment aucune démarche d’appropriation personnelle et collective. On suivra donc volontiers Florent Coste dans Explore, investigations littéraires [3], pour qui l’entrée par les codes littéraires – catégorisation par genre, choix de textes (trop) typiques, réduction de l’œuvre à des procédés esthétiques – réduit les compétences du lecteur dans son appropriation et son questionnement des œuvres ».

« À l’inverse, écrit Mouttapa, quand on privilégie les entrées anthropologiques qui enracinent à nouveau textes et œuvres dans l’histoire humaine, le statut même de l’histoire littéraire devient plus stimulant. Il s’agit alors de comprendre, à travers une époque et dans des contextes variés, les usages vivants de la littérature : les expériences de vie qu’elle procure (sensibilité, imaginaire, idéation) ; les nouveaux contextes qu’elle produit par le changement des modes, des sensibilités et des valeurs ; la démarche de connaissance et l’unité des savoirs qu’elle permet ; sa capacité à transmettre. L’enjeu est bien de concevoir la création littéraire comme un geste et non comme un texte.

On veut ainsi construire une histoire littéraire plus incarnée, excédant le seul domaine littéraire pour s’ouvrir sur tous les autres domaines du savoir, repolitisée puisque repensée comme action sur une société et une époque, et comme pouvoir à travers les nouveaux langages et la mémoire qu’elle permet. […] ».

Oui, « [u]n mouvement littéraire et culturel n’est pas un fossile que l’on retrouve au bord du chemin, la seule preuve du passé, mais un futur encore vivant et palpitant, capable d’ouvrir des perspectives et de faire frissonner ».

 

Matthieu Gosztola

 

[1] Paris, Bertrand-Lacoste, Toulouse, CRDP Midi-Pyrénées, coll. Didactiques, 1993

[2] Nouvelle Revue Pédagogique lettres lycée, numéro 81, septembre 2018

[3] Paris, Questions théoriques, coll. Forbidden beach, 2017

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A propos du rédacteur

Matthieu Gosztola

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Rédacteur

Membre du comité de rédaction

 

Docteur en littérature française, Matthieu Gosztola a obtenu en 2007 le Prix des découvreurs. Une vingtaine d’ouvrages parus, parmi lesquels Débris de tuer, Rwanda, 1994 (Atelier de l’agneau), Recueil des caresses échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin (Éditions de l’Atlantique), Matière à respirer (Création et Recherche). Ces ouvrages sont des recueils de poèmes, des ensembles d’aphorismes, des proses, des essais. Par ailleurs, il a publié des articles et critiques dans les revues et sites Internet suivants : Acta fabula, CCP (Cahier Critique de Poésie), Europe, Histoires Littéraires, L’Étoile-Absinthe, La Cause littéraire, La Licorne, La Main millénaire, La Vie littéraire, Les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française, Poezibao, Recours au poème, remue.net, Terre à Ciel, Tutti magazine.

Pianiste de formation, photographe de l’infime, universitaire, spécialiste de la fin-de-siècle, il participe à des colloques internationaux et donne des lectures de poèmes en France et à l’étranger.

Site Internet : http://www.matthieugosztola.com