Étrangère, Brankica Radić (par Didier Ayres)
Étrangère, Brankica Radić, éditions L’Ollave, Domaine Croate/Poésie, septembre 2023, trad. croate, Vanda Mikšić, 60 pages, 16 €
Écriture claire
La partie la plus évidente du recueil de Brankica Radić tourne autour de la question du territoire, du pays, des pays, des voyages, des routes, des villes. Et cette poésie ne cesse de cerner un territoire sans territoire – une nation coupée du territoire de l’ex-Yougoslavie (en 1991, la Croatie ainsi que la Slovénie ont déclaré leur indépendance, devenant ainsi deux états souverains) –, dans une langue sèche et presque ascétique, une langue claire. L’on voit quand même où réside la poétesse au pays de la poésie pour combattre l’exil. Cette présence verbale de la langue maternelle souligne son étrangeté justement par la coalescence des voyages et des villes.
La poète ne sait rien d’autre à part se satisfaire d’un pays imaginaire enracinée dans le territoire de la langue – langue maternelle / langue d’origine / refuge de l’exilée. Son voyage est donc interminable, fictif. La Russie, la Croatie, la France, Paris, la Bosnie-Herzégovine, la Sibérie, la Pologne, l’Amérique. Cette géographie accuse une porosité de l’environnement immédiat, celui des villes, des trains ou des avions, indiquant des interstices, des volumes, des vides. Je pense que l’auteure est très sensible à ce qui l’entoure.
Le loup
Je t’oublie vite. Je ferme les yeux. Je me vois.
Pense les coordonnées. Sens les frontières.
Les mères louves se cachaient dans les désirs. Cela m’a donné
mal au cœur. Si tu entres en moi, je vais accoucher. De chaque doigt
naîtra un loup. Cet hiver-là on a chanté. Conscient-inconscient. Bonjour
à mon loup.
Ou
Deux langues
Dans deux langues je range le plus intime j’analyse et
construis puise des significations retrouve celles qui m’appartiennent. En elles
je pense en elles j’accouche désire ressent. Le plaisir
d’être dans la langue suivre plusieurs voies parfois envol chute
collision fatigue déraillement comme dans un rêve la possibilité de l’écart
et le désir que la pensée l’emporte sur la réalité que la réalité surprenne que
Cette écriture claire danse sur la crête du langage et nous rend proches de l’existence de Brankica Radić, d’une attitude existentielle laquelle privilégie une émotion instantanée venant de l’observation, qui remonte de l’être et en résulte. Donc nous cherchons comme lecteurs la plus petite part d’existence, d’activité intellectuelle et de beauté parfois. N’oublions pas bien sûr les terribles événements de Sarajevo qui se sont déroulés durant les guerres de Yougoslavie de 1991 à 2001. L’on ne peut que supposer la brutalité et l’horreur de ces exactions qui obligent la langue à chercher la vie au sein d’elle-même.
La rouge
Détends ton visage. Sans les traits
le masque tombera. Effacera
la douleur. Ces derniers temps
permanente. Seul le début
de la journée. Seul le jour peut tout.
Mouvements du visage. Mouvements de la rue. Tout
en mouvement. Certains savent. Certains non.
La solitude se cache derrière les fenêtres. Dès
l’aube j’ouvrirai le livre. La fenêtre.
Didier Ayres
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