Éternelle Yuki, Coralie Akiyama (par Murielle Compère-Demarcy)
Éternelle Yuki, Coralie Akiyama, Éditions du Cygne, Coll. Voix au poème, février 2024, 56 pages, 12 €
Akiyama, un autre langage : celui que porte la voix d’une mère, Coralie, à l’adresse de sa fille Yuki coupée d’elle comme une île serait coupée de son archipel.
L’espoir de te revoir s’amuse s’amenuise s’amenuise et
puis comme ça un jour tu me raconteras ta journée je
me jetterai sur l’anecdote comme une affamée sur du
pain.
Yuki signifie « neige », et l’on sait l’inaccessible beauté des neiges éternelles. Neige dont un glaçon par moment renfermerait une pierre et blesserait celle qui innocemment s’en trouverait touchée dans l’éblouissement candide de sa ferveur ; qui atteindrait son corps, son âme, en la brûlant, en les ravissant. En dépit de l’espoir qui tisse sa toile pour en faire la tapisserie d’une Pénélope persévérante et malgré tout tournée vers le possible retour équilibré d’une situation nouée de douloureuse absence.
En dépit de l’espoir qui ne peut couper le cordon d’amour, que ne peut couper aucun homme, entre une mère et une fille. Candeur de la neige de cet espoir reflété par l’Éternelle Yuki (« petite rose pâle / déracinée d’un pays adoptif / haleine sans paroles, parfum perdu du film rêvé / le visage lisse bitume se relief-t-il »)… Croire en son espoir comme « ses dernières allumettes de paroles » face à un mari sourd à la situation, n’est-ce pas l’ultime feu qui reste, quand l’amour conjugal ne réchauffe plus (« l’amour silence un métal froid »), quand l’amour maternel refuse de se faire orphelin sous le poids d’un environnement hostile qui attise la souffrance et alourdit l’existence ?
Au bout d’une patience la pierre se réchaufferait et
j’avais si froid et encore j’y croyais comme l’aventurière
croit en un chemin leur persévérance à tous charriait
des promesses et elles étaient si vraies.
Coupée de sa fille, la mère lance dans « un rêve blanc » l’appel perdu, dans un puits d’amour sans fonds ; elle lance par éclairs, et non sans éclats sur son être, son « Je à la folie » vers sa fille loin d’elle retenue. Cette souffrance constitue un double rapt à l’enfance : Yuki, la jeune fille retenue au Japon, se voit privée de vivre libre aux côtés de sa mère tandis que sa mère se voit privée de vivre auprès de son enfant. Légèreté de l’enfance et fusion filiale sont confisquées, au nom d’un homme-père leur volant l’amour inconditionnel.
En même temps que le cri d’amour d’une mère se grave dans la neige éternelle symbolique de l’Eternal Daughter d’un Joanna Hogg, un cri d’amour est envoyé au Japon où Yuki est comme emprisonnée, non libre de voler à l’air libre avec sa mère. À la page 20, l’image du référent kimono exprime cet envol impossible :
Mon kimono a les ailes lourdes et fait respirer sage où
est la vie qui devait sautiller sur un pied
Métaphore de l’envol impossible viscéralement vrillé à l’expérience du Vivre sous liberté conditionnelle, filée par la chute de l’oiseau que l’on abat, que l’on terrasse, que l’on désaile parfois afin de mieux le domestiquer, le dominer, le contrôler.
Ma grue mon cygne à terre aux ailes lourdes
d’adolescente qui à son tour mettra sa solitude au
moulin du rêve et lavera pour nous un rêve blanc.
Étoilée dans sa chair, en son cœur, par les éclairs multiples du Japon, par l’amour à vif, en vie et à vie qui roule sur le sable des incertitudes conquises, sur la brillance des apparences ou le paraître conventionnel, l’auteure met à l’heure dokidoki* son cœur, entre les lignes, accordant sa « Voix au poème » pour ex-vociférer des murs entre lesquels on les enferme, sa fille chair de sa chair fruit de son arbre-de-vie jusqu’à la mort et elle-même mère rayée du Pays du Levant mais intarissable vague qui soulève autant d’oiseaux sur sa crête qu’il y a de douleur (« plus il y a de douleur et plus il y a d’oiseaux »). Car il est des douleurs indicibles. Coralie Akiyama nous livre ici à fleur de mots et entre les lignes les non-dits d’un amour filial inconditionnel, conditionné par la détermination et les mœurs sociétales, muselé par « un mari en or » au vu des apparences de la société japonaise, geôlier en réalité de son enfant et sa mère (« Mon enfant prisonnière d’un royaume épais »). La morbidité de la situation (père de l’adolescente malade, situation oppressante, mère coupée de son enfant, etc.) retentit comme par le processus des correspondances baudelairiennes jusque sur les paysages, les humeurs…
Ciel noir : ce point fixe qui nous attendait. Rose, bleu,
Etoiles : périphéries. Alors comme ça on coupe la parole
à mon enfant.
Que dit-elle ? Que voudrais-tu-t-elle me dire ? Mes
oreilles s’écorchent à trop se pencher vers ces non-dits,
murmures de
Ma grande murée adorée, médaille d’eau vive en
captivité
s’étirent ces oreilles, vers un elfique silence de non-forêt
il se pourrait que tout était écrit comme du papier à
muqueuses
de cirque en cirque de pères sourd à la chaîne – Rompre !
L’oreille mutilée de Van Gogh me vient.
Généalogie du ciel soir
Il paraît que nous reproduisons au fil du temps les mêmes erreurs, retombons, autant inconsciemment attirés qu’inconsciemment repoussés, dans le labyrinthe de mêmes schémas, de mêmes vortex relationnels qui pourtant nous asservissent. Mais, un jour, au pied de la cascade une carpe sait remonter le vertige de la chute… Écrire, n’est-ce pas nager à contre-courant pour mieux s’abandonner et renaître au Large, « dans les bras de (son) rêve inconditionnel » ?
Murielle Compère-Demarcy
* Dokidoki : Onomatopée exprimant le bruit du cœur qui bat rapidement.
Diplômée de Science-po Lyon, Coralie Akiyama (1984) a vécu à Tokyo pendant 13 ans et partage désormais sa vie entre Paris, Tokyo et Tel-Aviv. Elle est l’auteure de romans : Féerie pour de vrai ; Dévorée ; de recueils de poésie : Désordre avec vue ; Vivante-moi, Shoshana ; et d’une pièce de théâtre, L’Étape zéro. Éternelle Yuki est son quatrième recueil.
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