États du Monde, Onuma Nemon
États du Monde, Mettray Editions, août 2016, 836 pages, 29 €
Ecrivain(s): Onuma Nemon
Plus de 830 pages dans un format plutôt grand et inhabituel (16,7x26 cm), États du Monde d’Onuma Nemon se présente d’emblée comme un livre fleuve.
Onuma Nemon a publié auparavant cinq autres livres, tous aussi déroutants les uns que les autres : récits accompagnés de photos et dessins (OGR, Tristram), avec également un CD (Quartiers de ON !, Verticales, 1150 pages) ou livre de textes et d’eaux fortes (Crampes, URDLA, tiré à 30 exemplaires vendus 1000 €). « Les autres volumes des États du Monde et l’ensemble de la Cosmologie seront désormais disponibles sous forme d’édition numérique sur le site créé par Mettray depuis une dizaine d’années » signale la quatrième de couverture. Le net, comme pour marquer encore plus l’énormité du projet. Le net : comme si l’entreprise était devenue trop grande pour l’édition classique papier…
Qui est Onuma Nemon ? On le dit né en 1948, d’origine Andalouse et cubaine, ayant reçu une formation de plasticien et s’étant spécialisé dans la gravure et le dessin.
Pas de liste « Du même auteur » (une seule phrase en quatrième de couverture), pas de table des matières en fin de volume sans parler des nombreux « flous de ponctuation » ou autres stratagèmes que semble parsemer l’auteur tout au long de son ouvrage : tout concourt dans États du Monde à rendre flottant le lecteur. Le livre est accompagné de petites illustrations dont une grande partie est à coller avant lecture tels les autocollants Panini. États du Monde, malgré sa présentation en quatrième de couverture en liaison avec les ouvrages précédents de l’auteur, donne néanmoins à sa lecture l’impression d’un livre autonome, déjà de par son titre pouvant porter à penser qu’il va recenser les « états du monde ». Qui peut donc se lire et s’appréhender hors des autres, comme une somme unique que l’on aurait entre les mains.
Un grand texte est tout de suite un flux, un rythme. Avec Onuma Nemon dans ses États du Monde, on entre instantanément dès la première phrase du livre dans un étrange tourbillon. La question est de savoir s’il prendra son lecteur jusqu’au bout ou non.
Comment rendre lisibles toutes les proses du monde semble se donner en pari ce livre, si ce n’est en les livrant par fragments les unes à la suite des autres. On avalerait facilement les couleuvres qui sont tendues devant nos yeux tout au long de ce grand récit sachant que tout énoncé est premièrement pris comme vrai. Tout s’enchaîne par glissement en s’articulant, prenant appui, sur un nom de personnage, un événement, une époque passant de l’une à l’autre, du réel ou d’un semblant de réel à l’imaginaire le plus débridé et iconoclaste. Comme si le temps n’avait pas d’importance, comme si tout pouvait se mélanger dans tout. Quel est cet étrange flou dans la fiction que le lecteur ressent à la lecture ? Comme si toutes les époques se mélangeaient en un même présent, une même histoire qui se déroule devant nos yeux. Comme si tout se rejoignait : passé et présent. On passe d’une histoire à une autre, comme dans un fondu enchaîné de cinéma : par glissement progressif de bouts de récits formant conglomérats.
On ne sait souvent pas vraiment où on en est. Est-on dans un dialogue ou en train de lire un journal se demande-t-on parfois. Des sous-titres en caractères gras séparent parfois un bloc de récits, embrayant sur un autre ou sur un dialogue, rapporté, cité. Des guillemets sont ouverts puis refermés plus d’une longue page plus loin, alors que l’on a oublié depuis longtemps leur ouverture. Et parfois un nom de personnage, qui revient, des pages plus tard, rappelle que vous êtes toujours dans la même histoire principale, la même trame d’origine, que vous n’avez pas changé d’époque et que vous êtes bien toujours dans l’histoire qui a débuté une centaine de pages avant. « Onuma », pour ne prendre que cet autre exemple, est une fois une personne une fois une île redevenant bien vite une personne (page 117, annoncé page 99 revenant page 137).
On est pourtant tenté de poursuivre sa lecture, par curiosité et envie de savoir où tout cela va mener, ce qu’il y a derrière, se questionnant, intrigué et pris dans le maelström du récit multiforme. Le chapitre Ossip se situerait plutôt en Russie et en URSS : on y croise Mandelstam, le Tzar, Lénine et Staline. Le chapitre suivant, Don Qui, l’ancêtre espagnol, ce serait plutôt Cuba et l’Amérique du sud (Buenos Aires) : on y croise Christoph Colomb, Fidel Castro et Pablo Neruda. Pour le chapitre suivant, Noëlli Mac Carthy, on est en Irlande en pays celte. Pour Avertissement à propos de Louis de Verteillac, après une double page qui semble donner les premières clefs du récit on se trouve bien en France en 1914 avec Clémenceau et Jaurès, chapitre qui se termine par un long dialogue de près de dix pages ! Quant au chapitre qui le suit, court, il aborde en final l’année 1945. Et nous voici soudain au Pays des Morts et avec la Tribu des Gras : et tout le monde réapparaît… Et étrangement, tout au long du livre, la narration revient régulièrement dans la ville de Bordeaux (la couverture est une photographie du quartier Saint-Michel de la ville)… Avec certains passages très « sexe ».
L’avancé de la fiction s’opère par petites touches, en glissandos. De précision en précision, effaçant aussitôt celle qui vient de la précéder. États du Monde d’Onuma Nemon est incontestablement un OVNI littéraire.
Alain Marc
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