Et la mariée ferma la porte, Ronit Matalon (par Léon-Marc Levy)
Et la mariée ferma la porte, octobre 2018, traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz, 142 p. 15,80 €
Ecrivain(s): Ronit Matalon Edition: Actes Sud
Le court roman d’adieu de la regrettée Ronit Matalon, disparue hélas il y a un an, est un trésor littéraire et un formidable cri de femme. On pourrait dire de femme israélienne, tant l’héroïne de cette histoire, Margui (la mariée), associe les détresses diffuses d’une jeune femme confrontée à la perspective d’un destin fermé, et celles d’un pays, Israël, qui vit avec la même peur d’un lendemain impossible. C’est un roman de la fragilité, de l’inquiétude. Pas seulement celle de la mariée qui refuse soudain son destin immédiat, mais aussi celle du marié, Matti, qui, derrière la porte close de sa fiancée, va endosser peu à peu toutes les peurs, tous les doutes, tous les refus de celle qui est enfermée de l’autre côté. Margui, Matti, Ronit Matalon n’a pas choisi ces prénoms si proches par hasard. Ils sont miroirs l’un de l’autre et renvoient, métaphoriquement, aux deux peuples qui vivent, « de chaque côté de la porte », en Israël.
Curieusement, alors que toute l’affaire tourne autour de « la mariée » (qui ne l’est pas), c’est peu à peu la figure du mari (qui ne l’est pas plus) qui émerge du récit comme figure centrale. Il porte en lui toutes les failles, les brisures, les peurs qu’on suppose à l’autre. Il fonctionne comme un buvard à travers la porte, comme le porteur du message que l’autre ne dit pas. Avant même d’entendre quoi que ce soit de ce que sa fiancée dit à travers son geste, il la comprend déjà, au sens étymologique, il l’inclut sans la comprendre.
« Non, tu ne fais pas ça. Tu ne fais pas ça. Toi, tu ne connais que la force, rien que la force. On ne sortira pas Margui de force de la chambre, que ce soit clair. Je respecte (il souligne ce mot d’un coup de talon et ses narines frémirent) son attitude, même si je ne la comprends. Voilà encore une chose qui t’es étrangère, mais, moi, à la différence de toi, je suis capable de respecter (il éleva la voix) bien que je ne comprenne pas »
Rien ne manque à ce tableau israélien, pas même (et surtout pas) l’humour juif. En fait, on devrait parler d’humour israélien qui double la mise, celle du désespoir fataliste des Juifs à celle de l’incrédulité d’une nation en son destin. La famille du marié semble droit sortie d’un film de Woody Allen à Jérusalem. La mère, geignarde et catastrophée, la tante pleine d’une sollicitude jubilatoire, le père, tout entier à côté de la plaque.
La scène du technicien arabe venu avec un camion à échelle pour passer sur le balcon de la mariée enfermée est digne quant à elle d’un Dino Risi hilarant. Avec tout le quartier rassemblé pour assister à la scène et s’extasier, chacun donnant son avis sur la situation.
Matti – on l’a dit le vrai héros de cette histoire – glisse de plus en plus vers l’identification à sa fiancée enfermée, découvrant peu à peu ses doutes, ses peurs enfouies. Il fait progressivement corps avec Margui, dans un mariage qui n’a pas eu lieu mais qui a lieu encore plus fort. Ronit Matalon nous parle d’incarnation mutuelle.
« Et de ce glissement, écoulement de lui-même hors de lui-même, de la terreur de perdre contact avec le sol sous ses pieds et de sa nostalgie du contact avec n’importe quel sol, il sentit germer en lui un sentiment de jalousie : non qu’il fût jaloux à la pensée que Margui lui préférait peut-être quelqu’un d’autre, non, il était jaloux d’elle, aurait voulu, comme elle s’enfermer derrière une porte ; comme elle tout arrêter, se calfeutrer dans le refus du monde et de ses mots, réduire toute son existence à l’intervalle entre le souffle de son haleine et le coin du coussin sous sa tête. Il faillit retourner dans le couloir et la supplier d’ouvrir la porte, mais cette fois, non pas pour qu’elle sorte, mais pour qu’elle le laisse entrer dans la pièce et qu’ils s’y enferment tous les deux. »
Une superbe novella israélienne, dans la traduction soyeuse et précise de Laurence Sendrowicz.
Léon-Marc Levy
VL3
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