Éphémères, Annie Perec Moser (par François Baillon)
Éphémères, novembre 2019, 74 pages, 18 €
Ecrivain(s): Annie Perec Moser Edition: Le Coudrier
Le titre Éphémères fait immédiatement référence dans notre esprit à des instantanés, à des photographies saisies par le regard de la poète. La photographie de la couverture, signée Damien Gatinel, laisse cependant présager que, par-delà le regard, se situe l’imaginaire. Et c’est bien ce qui nous attend dans ce recueil, où Annie Perec Moser affirme l’acuité de sa vision.
À la lecture de ses poèmes, dont la forme nous paraît dès l’abord traditionnelle, quelque chose nous interpelle pourtant, comme si la rime attendue ne venait pas, comme si nous avions été bernés par cette apparente tradition formelle. C’est cela, en vérité : la poète nous surprend l’air de rien, mais elle nous ouvre en même temps à une grande fluidité au sein de sa poésie. Il n’est parfois qu’à se laisser conduire par le courant ; mais c’est pour mieux être saisi à la fin : l’ingénuité de la jeunesse rencontre fréquemment la cruauté la plus perverse, comme le montre excellemment L’enfer, commençant par le vers : « J’aimerais coudre les nuages ».
Un désespoir fort, associé à une lucidité aiguë de la mort, surgit régulièrement aussi. Mais ce désespoir n’est au fond qu’effleuré : souvent il apparaît comme un tout dernier constat, dans un tout dernier vers, succédant par exemple à une atmosphère propre aux contes de fées : La nymphe de l’eau, La princesse et Andersen ou le très réussi Le monde en sont des exemples. C’est là où le titre Éphémères prend tout son sens : Annie Perec Moser semble vouloir circonscrire le chagrin, l’amertume, et parfois la vie entière, dans cet instant ultra resserré qu’est le poème, quand ce n’est pas seulement le vers d’un poème. À ce titre, on peut citer Bref instant d’amour, Éphémère ou La fiole.
Le thème de l’amour et une sensualité humide caractérisent aussi l’univers de la poète : outre Un matin à Bamako et La fille sous le manguier, elle nous montre, avec malice et délicatesse, combien une minute dans une vie peut devenir signifiante face à une Apparition.
Si l’ensemble de l’ouvrage semble ne jamais se départir d’un grand souffle mélancolique, on y croise néanmoins les couleurs de l’enfance, une forme d’humeur primesautière et maline, qui tend à vouloir supplanter (alors même que la poète a conscience de cet acte impossible) ce qui viendra en dernier lieu : la mort. Et pas nécessairement et simplement la mort physique, mais plus encore la mort de ces instants, de ces sensations, que notre mémoire pourra malgré nous finir par brouiller. Éphémères pourrait alors renvoyer à l’état fragile de ce qui a été déterminant dans notre existence. Il est à noter que les peintures de Jacques Person, oscillant entre figuration et abstraction, font merveilleusement écho à ces poèmes.
L’ouvrage s’achève à la fois par une fable, telle une ultime référence à l’enfance, puisque l’enfance a toujours été bercée par les fables et leur fausse légèreté, et par un Hommage aux poètes ; celui-ci se clôt par quelques vers de William Blake, qui parachèvent très justement et subtilement l’intention de la poète quant à ce recueil : au sein d’une versification faussement évidente, une espièglerie lumineuse et une mélancolie dense, presque noire, se déposent comme des gouttelettes sur un long tapis de haute sensibilité, telles ces « rivières » dont elle dit avoir « besoin ».
François Baillon
Annie Perec Moser est entrée à 15 ans au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris. Par la suite, elle est l’auteure de ses propres chansons, qu’elle interprète dans les cabarets de la Rive Gauche de Paris. Diplômée en Lettres Modernes et Art théâtral à la Sorbonne, elle a signé des recueils de poésie et une biographie sur Berthe Bovy aux Editions Le Coudrier, ainsi que plusieurs fictions destinées à la jeunesse.
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