Entretien avec Serge Scotto à propos de "Qui veut égorger Astrid la truie ?"
Les mésaventures d’Astrid, la jeune, belle et naïve truie en quête d’émancipation et d’une vie pour soi. Monsieur Girafe, le fonctionnaire qui se retrouve entre les mains de l’ange de la vengeance. Jeanne d’Arc, « la Sainte guerrière, fille aînée de l’Eglise » qui offre aux spectateurs un magnifique numéro de résurrection. Et enfin, l’incroyable histoire du « pleurnicheur » qui devient Aldebert 1er.
Quatre histoires racontées sous un mode satirique, dans un style au langage riche en tournures qui suscitent le rire. Des personnages représentés par des hommes et des animaux décrits dans des situations comiques, drôles, insolites, incroyables, embarrassantes, déconcertantes. Un univers et des actions tournés en dérision.
Cette représentation satirique d’un monde mis à nu subtilement par Serge Scotto à travers son recueil de nouvelles, Qui veut égorger Astrid la truie, publié aux éditions du Littéraire, n’a pas de visée moralisatrice. Bien au contraire, elle doit être appréhendée comme une série de farces dont l’objectif est de procurer du plaisir et d’attirer la complicité des lecteurs/trices dans le but de les inciter à se questionner sur le monde dans lequel ils/elles vivent.
A travers l’entretien qui suit, Serge Scotto, l’auteur et l’illustrateur de Qui veut égorger Astrid la truienous propose de nous immerger dans l’univers parfois déluré voire pléthorique de ces quatre histoires qui captent notre attention, suscitent notre sympathie et éveillent nos consciences :
Vos histoires sont narrées dans un style qui évoque la satire. Chacune est porteuse d’un message qui prend l’allure d’une morale mettant en scène des personnages qui révèlent les travers et les absurdités du monde dans lequel ils vivent. Qu’est ce qui a motivé le choix de ce genre littéraire ?
Ces quatre textes sont des « bâtards » du conte philosophique et de la fable. Ils expriment une morale qui n’est cependant pas celle d’un moraliste. Par tempérament, je ne me fais juge de rien ni de personne. J’essaye plutôt de faire des constats logiques de l’absurde qui gouverne nos destinées.
Ce que j’aime dans le modèle de la satire qui se présente sous forme de formats courts dont la fonction consiste à forcer le trait pour éclairer la vérité par l’outrance, c’est sa propension à se prêter au décalage, à l’humour autant qu’à la cruauté. Ces quatre récits sont des petites histoires oniriques mettant en scène des animaux qui parlent et des sculptures qui reviennent à la vie mais qui, mine de rien, sur l’air de bluette et du fantasme, ne laissent pas passer grand chose de la réalité sans pour autant chercher à la paraphraser encore moins à faire la leçon. Le principe de la fiction suppose qu’au final c’est au lecteur de tirer le jus théorique des hypothèses un peu farfelues qui lui sont proposées. En résumé, ces histoires sont à la fois ludiques et lucides. Elles proposent des mondes parallèles dans lesquels un certain nombre de distorsions nous permettent de prendre la mesure de l’étrangeté de la réalité.
Le premier texte, Qui veut égorger Astrid la truie, peut être appréhendé comme une version moderne d’une fable de La Fontaine. Dans ce récit, vous accordez une place prépondérante aux animaux. Ces créatures sont-elles un prétexte pour peindre les moeurs et les vices du monde que vous décrivez tout au long de votre texte ?
En utilisant les animaux, on crée une distance qui permet de dire aux hommes et aux femmes leurs quatre vérités d’une façon qui leur soit plus supportable. J’aime bien les animaux qui parlent. C’est frais et sympathique. J’ai un chien, mon petit teckel Saucisse, le seul journaliste canin de France et de Navarre qui a une tribune hebdomadaire dans la Presse Quotidienne Régionale (P.Q.R.) depuis huit ans déjà. Il semble y aboyer avec un certain succès puisque nous sommes déjà au cinquième recueil de ses tribunes en librairie, publiées par les éditions Jigal.
Si j’avais utilisé des personnages humains, l’histoire aurait forcément été différente. Elle aurait été racontée autrement et vraisemblablement plus glauque. Dans ce recueil, l’histoire conserve tout l’aspect d’un dessin animé faussement débile.
Qui veut égorger Astrid est un texte qui m’accompagne depuis longtemps. Il a muté régulièrement. Il y a bientôt dix ans, j’avais obtenu le prix des lecteurs de la Provence pour la première version. Puis une version plus proche du texte actuel est devenue une pièce théâtrale pour la radio. Actuellement, je suis en train de scénariser le texte pour la Bande dessinée avec mon ami Elcé.
La notion de dualité structure l’ensemble de votre texte. La campagne est représentée comme un espace idyllique. La ville est un lieu de danger. Les personnages masculins sont manipulateurs, violents… Le féminin est plutôt victime des agissements de ces hommes. L’illusion s’oppose à la désillusion… Comment expliquez-vous la prédominance de cette vision manichéenne de l’ordre social que vous représentez ?
Je me sers du manichéisme, paradoxalement, pour démontrer le contraire, à savoir que rien n’est si simple, que la vie n’est pas noir ou blanc, qu’il n’y a ni méchants ni gentils mais plutôt des circonstances. Le monde n’obéit à aucun ordre moral mais au seul ordre des choses. On se débrouille comme on peut avec la fatalité et rien n’a de sens que la mesure que l’on y accorde. Quand on constate que nous en sommes à légiférer sur l’histoire, cela paraît complètement ridicule. « L’homme est la mesure de toute chose » disaient les sophistes à tort mais avec raison. C’est pourquoi je ne suis pas un moraliste mais plus modestement un « amoralisme ».
L’incroyable histoire de Monsieur Giraffe, fonctionnaire de son état peut être interprétée comme une réflexion sur la vie et son antagoniste, la mort à laquelle vous attribuez une fonction purificatrice puisqu’elle permet au protagoniste de « racheter » ses péchés. Au delà de votre volonté de susciter le rire, quel est le message véhiculé à travers cette représentation optimiste de la mort ?
D’abord, monsieur Girafe ne rachète ses péchés que par hasard, par un concours de circonstance. C’est toute la « morale » de cette histoire car tous ses efforts de rédemption sinon restent vains.
C’était un sale type et il reste inaccessible à la véritable bonté. Il ne devra sa place au paradis qu’à une certaine injustice immanente finalement.
C’est marrant cette expression de « racheter » ses péchés. ça rappelle les indulgences au moyen-âge et la bonne conscience du capitalisme actuel.
Outre la dimension sarcastique du texte, le personnage représenté par la statut de Jeanne d’Arc prend l’allure d’un robot programmé pour tuer. N’y a-t-il pas une influence des personnages des récits de science fiction tels que RobotCop, par exemple ?
Tout à fait ! Mais si l’on pense aux robots et à Robocop, c’est parce que le parallèle est évident. Mais au fond, les chevaliers ont toujours ressemblé à Robocop sauf qu’en leur temps on ne pouvait pas l’imaginer. Lorsque cette statue revient à la vie, elle est comme une chrysalide sans âme ; une créature de fer blanc, en bronze en l’occurrence. Son errance est peut-être la métaphore de la recherche d’humanité qui animait Jeanne de son vivant et dont sa gloire ou sa statue ne conserve, comme la boite du même nom, que le vide intérieur. Pour autant, à la lecture de la nouvelle, on peut se demander si la Pucelle en folie est la plus inhumaine des créatures qui s’agitent autour d’elle. Ce personnage nous renvoie à nous-même de la même manière que l’écriture en tant que genre cultive la parabole et utilise de façon substantifique l’effet miroir.
J’ai toujours aimé Perrault, La Fontaine, Voltaire, Rabelais, Le Roman de Renart et tout ce vieux fond de la littérature populaire française très subversive sous ses airs d’amuser voire d’éduquer les enfants. J’ai particulièrement affectionné ce potage de mots souvent gras et de mauvais goût dans son chaudron poisseux pour finalement le concocter à ma manière à l’aune de la modernité.
Cette histoire laisse transparaître l’idée de démystification du personnage de Jeanne d’Arc. N’y a-il pas une volonté de tourner en dérision dans le but de le remettre en cause, un aspect de l’histoire nationale que vous définissez comme un « éternel recommencement amnésique ou arrangeant » ?
Bizarrement, en flashant sur la Pucelle d’Orléans, j’ai été le précurseur de cet étonnant phénomène de réactualisation voire de récupération du personnage par Sarkozy et même par la gauche auquel nous venons d’assister. Jeanne d’Arc est certainement un symbole de la liberté et de la résistance même si elle incarne notamment la religion et la monarchie dont l’Etat français s’est sérieusement démarqué depuis 1789 en passant par 1905.
Je crois que la vraie Jeanne d’Arc n’était pas à absoudre de toute mégalomanie même s’il en faut pour se jeter avec autant de conviction et de foi dans l’aventure qui l’a conduite vers son destin tragique. Mais je suis convaincu que le personnage était sans pompe et insensible aux hommages et ne se laissait pas impressionner. Seule la victoire semblait devoir lui rendre hommage et compter pour elle !
Dans cette nouvelle, La folie de Jeanne d’Arc, la première chose qu’elle fait d’ailleurs en revenant à la vie, c’est de couper quelques têtes au hasard parmi la foule de ses pseudo-adorateurs rassemblés au pied de sa statue. Avec leurs uniformes de carnaval et leurs bannières inconnues, peut-être prend-elle cette soldatesque bleu blanc rouge pour les Anglois.
La quatrième histoire, Le pleurnichard prend l’allure d’un conte de « philosophie » politique voire morale narrée sur un mode sarcastique. C’est une critique du choix des peuples de leurs gouvernants. L’exagération est le moyen par lequel vous ridiculisez ces pauvres paysans qui portent au pouvoir celui qui passe son temps à se plaindre. Bien que cette histoire se déroule dans un lieu défini, ne transcende-t-elle pas les temporalités et les espaces ?
C’est l’histoire universelle des peuples qui partout et en tout temps s’assujettissent par nature comme s’il ne pouvait en être autrement. Le peuple réclame un roi ! Curieusement, cette volonté d’être un larbin fait le jeu des pleurnicheurs plutôt que des forts. « Il faut protéger les forts », disait Nietzche. Il n’avait pas tort. On manque de forts, de vrais forts, pas de matamores bien sûr. Des forts pour guider les peuples. Des forts qui se font d’autant plus rares qu’au fond, sauf accident, des exceptions qui confirment la règle comme peuvent l’être un Mandela ou un Gandhi, le peuple préfèrera toujours se soumettre à une canaille que de se prendre en mains.
Bien que vos histoires soient narrées sous un mode comique, le monde dans lequel vous les ancrez est très souvent caricaturé et par moments, représenté négativement. Etes-vous un écrivain qui endosse le rôle d’éveilleur des consciences ?
Je crois pour commencer qu’il vaut mieux prendre la vie pour une plaisanterie. Le véritable ennemi de la pensée, ce n’est assurément pas le rire mais bien au contraire l’esprit sérieux qui entrelarde les consciences et fait partout le nid des intolérances. Un individu qui se met une couronne sur la tête parce qu’il a trouvé la fève dans le gâteau et tout un peuple qui crie « Vive le roi », « God save the queen », « Ave César » ou « Heil Hitler », c’est bien sérieux ? C’est toujours un peu l’histoire du Pleurnicheur d’ailleurs. Si on ne prenait pas les dictateurs ou Sarkozy tellement au sérieux. Si on se contentait de rigoler quand on voit un clown au balcon comme Mussolini, et bien ces gens-là perdraient par là-même et instantanément leur pouvoir maléfique. Leurs galons leur tomberaient des épaulettes et leurs médailles en chocolat à leurs pieds.
Je crois ensuite que j’écris pour exorciser mes colères et répondre aux questions que la vie me pose. En écrivant, je m’épargne de longues séances de prise de tête sur le divan du psychanalyste ou au comptoir du bistrot du coin à brasser de l’air en vain et à me répéter.
Je me défoule avant toute chose. Mes angoisses sont probablement suffisamment partagées pour qu’une saine lecture profite à tout un chacun. Mais je ne me prends certainement pas pour une « conscience ». J’ai juste l’esprit de contradiction puisque je suis chevillé au corps depuis l’âge des culottes courtes. Et je crois que la vérité est contradictoire. J’essaye d’écrire pour donner des réponses à ce je n’ai pas l’impression d’entendre dans le discours convenable que l’on nous inflige à longueur de temps, que ce soit à la télévision, dans le journal ou dans ces assommoirs subversivement corrects qui font d’excellents best sellers.
Note sur l’auteur
Serge Scotto est « un touche-à-tout éclectique : tour à tour et dans le plus grand désordre instituteur défroqué, musicien tendance “alternatif”, directeur de galerie d’art, auteur de polars bien sûr (5 romans à son actif) et journaliste (aidé en cela par son fidèle compagnon, le Chien Saucisse) dans plusieurs quotidiens et magazines dont Metro et Le Ravi. Une langue acerbe, un style vif et critique, l’ironie à fleur de peau… une conscience citoyenne ».
Bibliographie :
Le Crapaud qui fume, Marseille, France, Éditions L’Écailler du Sud, 2000, 89 p.
Le Soudard éberlué, Marseille, France, Éditions L’Écailler du Sud, 2000, 108 p.
Alerte à la vache folle, Marseille, France, Éditions L’Écailler du Sud, 2002, 155p.
Comme un chien, Marseille, France, Éditions L’Écailler du Sud, 2003, 82 p.
Nous serons les rois de Marseille, Marseille, France, Éditions L’Écailler du Sud, 2004, 159 p.
Saucisse Dans le Métro, Marseille, France, Éditions Jigal, 2004, 143 p.
La gloire de Saucisse, Marseille, France, Éditions Jigal, 2005, 127 p.
Saucisse Président, Marseille, France, Éditions Jigal, 2007, 134 p.
Gagnant à vie, Marseille, France, Éditions L’Écailler du Sud, 2008, 195 p.
Massacre à l’espadrille, Paris, Éditions Baleine, coll. Baleine noire, 2007, 139p.
Saint-Pierre et Nuque Longue, Paris, Éditions Baleine, coll. Le Poulpe, 2008, 182 p.
La grande évasion en pantoufles, Paris, Éditions Baleine, coll. Baleine noire, 2010, 173 p.
Saucisse face à la crise, Marseille, France, Éditions Jigal, 2010, 208 p.
Qui veut égorger Astrid la truie ? Paris, France, Les Éditions du Littéraire, 2011, 100 p.
Entretien réalisé par Nadia Agsous
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